Directrice de la fiction à France Culture, Blandine Masson met en récit l’histoire du genre radiophonique auquel elle se consacre depuis 25 ans. Aussi personnel que documenté, Mettre en ondes – La fiction radiophonique paru chez Actes-Sud Papiers, ce passionnant témoignage aborde notamment les rapports étroits que la fiction radiophonique entretient depuis ses origines avec le théâtre.
Comme à peu près tous les médias et moyens de communication modernes et contemporains, le théâtre se sert régulièrement de la radio. Nul besoin en effet de creuser bien loin dans notre mémoire de spectateur – à moins qu’elle n’ait été très endommagée par une trop longue période sans spectacles – pour y exhumer des souvenirs de pièces traitant d’émissions radiophoniques réelles ou fictives. Ou encore de créations basées sur des techniques d’enregistrement ou de diffusion radiophoniques. En lisant le premier chapitre de Mettre en ondes – La fiction radiophonique de Blandine Masson (Actes Sud), « La scène invisible », nous revient par exemple le souvenir du petit tracteur qui, dans On traversera le pont une fois rendus à la rivière (2018) de l’Amicale de Production, faisait office de studio de radio à un agriculteur à la retraite et à son neveu. Leurs expérimentations radiophoniques étranges donnaient lieu à la fois à une émission diffusée sur les ondes, « Le Bruit des Combrailles », et à un spectacle réjouissant, inventif.
On se rappelle encore de la création d’une autre compagnie belge, le Raoul Collectif, en 2016 au Festival d’Avignon. Dans Rumeurs et petits jours, un petit groupe de passionnés de l’antenne se révoltait d’en être privé. Là encore, la distance entre radio et théâtre était source sur scène d’un humour, d’un bricolage joyeux et libre. D’un mélange de jeu et de bruitages, présent aussi dans un autre de nos souvenirs théâtraux : celui de Zai zai zai zai, adaptation par la compagnie du Théâtre de l’Argument de la bande dessinée éponyme de Fabcaro. Dans cette pièce, la radio n’est plus le sujet, elle est la forme de la pièce : alignés devant une table, comédiens et bruiteurs équipés de casques font du théâtre exactement comme on fait de la radio. Ou font théâtre du processus d’enregistrement d’une fiction radiophonique, genre dont Blandine Masson retrace l’histoire dans son livre à partir de son expérience personnelle, depuis sa découverte en 1995 du métier de réalisatrice de fictions radiophoniques jusqu’à aujourd’hui.
La radio, un art total
Directrice de la fiction à France Culture depuis 2005, Blandine Masson se présente dans son livre comme l’héritière d’une histoire qui commence en 1924, année de diffusion de la première pièce radiophonique. En ouvrant son récit par un retour à ces origines, l’auteure met en avant la profondeur des relations entre théâtre et fiction radiophonique. Nos souvenirs de théâtre convoquant la radio ne sont sans doute pas si nets pour rien. « Tout au long de leur histoire mouvementée », dit-elle, « les hommes et les femmes de radio n’ont eu de cesse de vouloir divorcer du théâtre et en même temps de s’en rapprocher ». Jusqu’à ce que, récemment, les relations s’apaisent et donnent naissance à un dialogue ouvert, fertile pour les deux disciplines dont Blandine Masson, fille de comédienne – les pages qu’elle consacre à sa mère sont parmi les plus belles de son livre –, est l’une des meilleures incarnations. « J’ai souvent moi-même oscillé entre théâtre et radio, suivant les mêmes mouvements d’attirance et d’éloignement, mais toujours attachée aux acteurs, aux voix et au pouvoir magique des mots. J’ai senti très vite que le monde sonore pouvait tout absorber, tout réinventer et enchanter », écrit-elle.
Les pages de Mettre en ondes regorgent en effet de noms d’artistes de disciplines diverses, qui tous ont plus ou moins longtemps, avec plus ou moins de passion, participé à l’histoire de la radio. Parmi toutes ces femmes et ces hommes que cite avec amour Blandine Masson, il y a le metteur en scène Jacques Copeau qui en pleine Seconde Guerre Mondiale participe avec un certain Pierre Schaeffer – un « intellectuel, polytechnicien, artiste, musicien, metteur en scène » – à la naissance d’un nouvel art : la « mise en ondes ». Soixante ans après, la directrice de la fiction à France Culture affirme que les « concours insensés » imaginés par les deux hommes pour permettre à la fiction radiophonique de s’affirmer « ont déterminé la bizarrerie, l’originalité et le statut atypique de ce métier tel qu’il existe encore à Radio France ». Cela malgré la grande transformation qu’il a connu récemment, en 2010, avec l’arrivée du podcast qui a permis la « sortie de la nuit radiophonique ».
Hommage au maître du silence
D’entre toutes les personnes à qui elle rend hommage dans son livre, il en est un qui revient plus régulièrement que les autres. Il s’agit Alain Trutat (1922-2006), homme de radio qui discrètement, en « silence » – ce mot fut d’ailleurs le dernier mot qu’il prononça, trois fois, rapporte Blandine Masson – a engagé en tant que directeur du service des dramatiques de France Culture un tournant qui a sans doute sauvé le genre auquel l’auteure de Mettre en ondes se consacre depuis maintenant 25 ans. C’est lui qui rebaptise « fictions » les émissions appelées jusque-là « dramatiques », affirmant ainsi définitivement leur autonomie par rapport au théâtre. Ce qui, loin de séparer les deux arts, redonne sens et force à une relation qui, du fait de quelques personnalités des deux bords – parmi lesquelles Lucien Attoun, qui crée « Théâtre Ouvert » à Avignon en 1971 à la demande de Jean Vilar – fut pleine de rebondissements.
Recrutée en 1995 comme réalisatrice de fiction à France Culture par Alain Trutat, qui cultive chez elle l’art de l’écoute, Blandine Masson réussit avec son livre à rendre hommage au passé tout en regardant vers l’avenir. Déclaration d’amour à un métier méconnu, Mettre en ondes est de ces livres qui suscitent ou confirment une vocation. En s’affirmant maillon d’une histoire qui a commencé avant elle et qui continuera de se développer après, Blandine Masson met au goût du jour ce qu’elle appelle la « méthode Trutat » : « celle de la modestie vis-à-vis des plus anciens et du passé ». Après cette lecture, qu’une hâte : retrouver le chemin du musée Calvet à Avignon, où France Culture pose depuis 1996 ses micros pour toute la durée du Festival. On repensera alors à l’amitié presque secrète entre le directeur du Festival d’Avignon Alain Crombecque et Alain Trutat, qui parlait amoureusement d’Avignon comme d’un jardin : « Il faut y aller pour y planter, y montrer des fleurs. France Culture en Avignon, c’est comme une radio qui naît dans un jardin. C’est une parole que l’on expose dans un jardin et que l’on capte ». C’est de cet Avignon sauvage et partageur, audacieux, que l’on rêve aujourd’hui après une année d’arrêt.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Mettre en ondes – La fiction radiophonique, Blandine Masson, Actes-Sud Papiers, 224 p., 18 €.
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