Au milieu de nouvelles tensions sociales, le Théâtre de la Commune prépare la reconduction de Marie-José Malis. Après deux mandats marqués à la fois par une grosse crise interne et l’expérimentation de nouvelles façons de faire avec le territoire, le CDN d’Aubervilliers poursuivra désormais son chemin suivant un « petit New Deal ». Un exemple à suivre ?
Il se passe toujours quelque chose à la Commune. L’indémêlable conflit entre la direction et une partie du personnel a connu de nouveaux rebonds ces derniers jours, avec un article détaillé de Mediapart et la révélation de mails internes qui a amené la CGT à exiger le départ de Marie-José Malis. La question de la reconduction de cette dernière pour un troisième et dernier mandat à la tête du CDN d’Aubervilliers n’est peut-être pas étranger à ces événements. Sur le sujet, la directrice paraît cependant confiante. Son renouvellement, à l’en croire, devait être annoncé avant le confinement, et serait officialisé de manière imminente, nonobstant les derniers remous.
Marie-José Malis a pour elle des relations qui paraissent au moins cordiales avec ses tutelles. La mairie d’Aubervilliers attend certes les résultats d’un scrutin fratricide et indécis, mais collectivités territoriales, Préfecture et Ministère sont souvent loués dans sa bouche pour lui avoir permis de mener à bien ses expériences. « Tout le monde sait que je suis une amie d’Alain Badiou, explique-t-elle, ce qui veut aussi dire que je pense avec lui qu’il faut travailler à l’affirmation, et pas qu’à la critique. Cela peut me poser des problèmes. Au Syndeac, par exemple, tout le monde n’était pas d’accord avec cette ligne qui consistait à la fois à être dans le rapport de forces et dans la proposition». D’où le sentiment peut-être qu’elle mène un double jeu avec le pouvoir. Autant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’établissement. Et si l’on ajoute à cela une certaine continuité dans les amitiés, une image qui parfois devient carrément confuse. Ainsi en fut-il avec sa participation à l’éphémère Think Tank Hyperion aux accointances macronistes, initié par Aurélien Taché – « il m’a beaucoup aidé », dit-elle – ancien député LREM, depuis peu sorti des rangs du groupe parlementaire. A l’en croire toutefois, politiquement, les choses sont claires pour Marie-José Malis: « je ne suis pas de centre gauche. La social démocratie est mon adversaire ».
« Comment une institution peut être reconstruite par ceux qui la fréquentent »
Repartir pour un tour donc, pour un nouveau mandat. Soit, mais pour quoi faire ? Marie-José Malis annonce carrément une nouvelle donne, « un petit New Deal », nom qu’elle a donné à un programme d’action artistique et culturelle qui va se déployer dès cet été. Paraissant aussi pleine d’aplomb que peu sûre d’elle, la directrice rapporte que des communicants lui ont conseillé de dire qu’à la Commune on a toujours fait ce que toute le monde chercher à inventer après cet épisode de la Covid.. On imagine qu’une telle stratégie serait risquée. Mais force est de constater que sur le terrain de la relation avec le territoire, dans ce mal nommé domaine de l’action culturelle, où l’on a alternativement l’impression que tout a déjà été fait ou que tout reste à inventer, Marie-José Malis a lancé son CDN dans une voie inspirante, à l’aube de ce monde d’après.
« Ce qui nous a guidés depuis le départ, c’est l’idée qu’il fallait que les habitants du territoire se réapproprient le théâtre. On a cherché à voir comment une institution peut être reconstruite par ceux qui la fréquentent. ». Une démarche qui se veut à l’inverse de la tradition descendante de la démocratisation de la culture, peu ou prou à l’œuvre en France depuis Malraux. Mais qui offre aussi l’occasion pour les artistes de renouveler leurs pratiques. « Le théâtre, il y a une dizaine d’années était très hors-sol, parlait du monde en général, cherchait à circuler dans les festivals internationaux. Comme Brecht qui a décidé de s’adresser aux ouvriers, ou la Nouvelle Vague à la jeunesse, on s’est dit que les formes nouvelles jaillissaient souvent quand les artistes décidaient de situer leur art et de s’adresser à quelqu’un en particulier.». Le tout conjugué à la certitude qu’ « on ne peut pas continuer à représenter la réalité si on ne sait rien de la réalité », et la Commune a lancé les artistes à la rencontre des habitants du territoire. Concrètement, cela a par exemple donné naissance aux Pièces d’Actualité, concept original en prise directe avec le territoire, dont le 81 Avenue Victor Hugo d’Olivier Coulon Jablonka, mené avec des sans papiers d’un squat d’Aubervilliers, repris entre autres au Festival d’Avignon et au Festival d’Automne, est devenu « un tube ».
Droits culturels et projet situé
En quête de renouer les liens avec un territoire populaire, largement d’origine étrangère et souvent pauvre, sans papiers ; en même temps adepte de concepts et d’une rhétorique intello, Marie-José Malis parle de « théâtre d’intervention », de « psychothérapie institutionnelle », de « projet situé »… On lui répond « droits culturels », et elle ne se dérobe pas, malgré une tribune qu’elle dit regretter maintenant, dans laquelle elle avait vilipendé la caractère démago et communautariste du concept. Sa volonté pourtant de créer des nouvelles formes d’art dans le partage des expériences et des pratiques, de donner voix et oreille aux attentes d’une population dont le théâtre parvient d’ordinaire si peu à se rapprocher, paraît en droite ligne avec cette pensée.
Au récit de son École des Actes qui réunit tout les soirs des habitants pour des cours de langue mais aussi pour former des ateliers de discussion au sujet du travail ou encore de l’habitat populaire ; à découvrir ces actions qui étendent le culturel jusqu’au social, comme cette cantine qui distribue aujourd’hui environ 150 repas par semaine, préparés par l’équipe du restaurant associatif du théâtre, alimentée par des dons récoltés dans les supermarchés ; à observer une séance de ce « laboratoire des acteurs nouveaux » ou trois jeunes metteuses en scène tentent de faire en sorte qu’une dizaine de comédiens amateurs, majoritairement originaires d’Afrique de l’Ouest s’approprient simplement des exercices théâtraux, afin d’être capables de les transmettre à leur tour, on sent bien qu’il se passe là, à la Commune, quelque chose de particulier.
Adosser les nouveaux bâtiments à un foyer de réfugiés
Le « petit New Deal » qui occupera les prochains mois du Théâtre se place dans la même lignée. L’idée de base de ce nouveau concept : sur le modèle du New Deal culturel de Roosevelt – « surtout inspiré par sa femme » précise Marie-José Malis – la Commune va octroyer une bourse à trois artistes, venus d’autres disciplines que le théâtre, pour documenter la situation sur le territoire. L’idée a été lancée par Marion Siefert, qui sera artiste associée de ce potentiel troisième mandat à l’occasion duquel la directrice veut créer « une confrérie ». Avec Marion Siéfert, Jérome Bel, Maxime Kurvers et Henri Jules Julien, qui travailleront pour le lieu en lien étroit avec elle et participeront par exemple à la programmation. Documenter la situation donc, mais aussi, encore une fois, trouver dans la rencontre manière à renouveler son art. Agir sur un territoire et être agi par celui-ci. Ne pas venir en missionnaire culturel mais en tant qu’artiste « qui cherche la possibilité de produire une régénération de son art et de l’institution en passant alliance avec la population ».
Au programme de cet été, il y aura également des ateliers photo, danse, théâtre à l’attention des jeunes, « qui chercheront avant tout à travailler le goût d’apprendre, par des pédagogies alternatives ». Et toujours l’aide d’urgence dans une situation de crise, avec les 10000 euros récoltés via une caisse de solidarité, des hébergements, et la cantine solidaire « décidée quand on a vu que le resto d’à côté servait des repas gratuits dès que le confinement a commencé » . A terme, la création de nouveaux bâtiments pour le CDN, adossés à une résidence d’artistes et à un foyer de réfugiés. Un projet né de ces ateliers menés avec les habitants. Ce sera peut-être, du travail de Marie-José Malis, l’aboutissement le plus spectaculaire.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
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