Collectif de directrices et directeurs de structures, le Groupe des 20 Théâtres en Île-de-France se porte solidaire des artistes mis en difficulté par la crise actuelle. Il adapte ses pratiques afin d’améliorer son accompagnement d’un maximum d’équipes.
Le 11 février 2021 à l’espace Marcel Carné de Saint-Michel-sur-Orge (91), un arbre a pris la parole. Son but : dénoncer l’indifférence générale dont sont victimes les accessoires de théâtre. « Quel professionnel du théâtre, quel journaliste pour relever la justesse d’une table de bistrot dans un décor, alors qu’elle va donner le ton d’une rencontre ? », disait-il en substance grâce à une voix off. La soixantaine de professionnels du spectacle vivants présents dans la salle ont pris note. Il est alors fort possible que la saison prochaine ou la suivante, le faux végétal soit invité chez certains d’entre eux à formuler ses plaintes. C’était en tous cas l’objectif de Kamel Abdessadok et d’Anne-Élodie Sorlin en présentant cet extrait de leur création en cours, J’attends que mes larmes viennent, dans le cadre des Plateaux organisés par le Groupe des 20 Théâtres en Île-de-France. Une journée professionnelle qui a rassemblé 11 compagnies et des programmateurs et financeurs autour de projets en création ou de pièces nées récemment, encore peu vues par les professionnels, encore moins par le public.
Urgence : rencontrer
Les Plateaux du Groupe des 20 Théâtres en Île-de-France n’ont d’habitude lieu qu’une fois par an, en octobre. De même que l’appel à candidature porté par le même réseau, qui s’engage à co-produire et à diffuser la création élue : en 2020-2021, Moby Dick d’Yngvild Aspeli et en 2021-2022 ISTIQLAL de Tamara Al Saadi. « Avec des calendriers complètement bouleversés depuis un an, les compagnies peinent beaucoup à monter leurs productions et leurs tournées À l’écoute de ces difficultés, nous avons décidé d’organiser des Plateaux exceptionnels en février. », explique Christian Lalos, directeur du Théâtre de Châtillon et coprésident du Groupe des 20 pour trois ans avec Annette Varinot du Théâtre Jacques Carat à Cachan et Frédéric Maragnani du Théâtre de Chelles.
Comme à leur habitude, bien rodée depuis les 28 ans d’existence du Groupe des 20, plusieurs de ses membres – des « directrices et directeurs de structures franciliennes de proximité aussi diverses que complémentaires », lit-on dans le livret remis à chaque participant à l’entrée de l’espace Marcel Carné –, plusieurs membres du réseau ont présenté des projets qu’il leur tient à cœur de soutenir. J’attends que mes larmes viennent, par exemple, était invité par Yoann Chanrion, directeur des Passerelles à Pontault-Combault. Avant de laisser la parole à l’arbre synthétique, ce dernier a résumé sa rencontre avec Kamel Abdessadok : « c’était au Monfort, qui accompagne ce premier projet personnel, hors de la compagnie 26 000 couverts dont fait depuis longtemps partie Kamel. J’ai été sensible à la manière dont il veut parler de lui et de nous à travers lui », dit-il. Chaque artiste est ainsi introduit par un professionnel qui le programme, et qui souvent le coproduit.
Covid oblige, la salle de ces Plateaux exceptionnels n’accueille le 11 février qu’une soixantaine de professionnels, contre près de 150 en temps plus normaux. Ce qui n’est toutefois pas négligeable. « Depuis le début du Covid, il est assez compliqué d’entrer en contact avec des professionnels sur des questions de production. Les Plateaux nous donnent la possibilité d’en rencontrer une soixantaine en peu de temps, c’est une chance. Le Groupe des 20 nous a aussi offert de réaliser des capsules de 20 minutes, qui seront diffusées sur le site et les réseaux sociaux du Groupe, et que l’on pourra ensuite utiliser pour présenter notre travail », se réjouit Kamel Abdessadok. Ces vidéos s’adressent notamment aux professionnels de régions, peu nombreux à avoir pu se rendre à Saint-Michel-sur-Orge. À l’exception des représentants de deux des trois autres réseaux de lieux de diffusion existants – le Groupe des 20 Auvergne Rhône-Alpes et Quint’Est, les Suisses du FRAS-Corodis n’ayant pu honorer le rendez-vous –, venus faire découvrir à leurs collègues des compagnies peu ou pas connues en Île-de-France : la Cie du Jarnisy, I L K A et Les 3 points de suspension. Au programme : un Barbe bleue choral, et un « Tutoriel théâtral pour réussir sa mort et celle des autres ».
Une heureuse mutualisation
Les esthétiques, les disciplines et les sujets représentés aux Plateaux sont divers, à l’image des structures et des personnes qui les soutiennent. « Chacun des membres du Groupe a son expertise, qu’il met au service d’un territoire particulier. Par exemple, Nathalie Huerta du Théâtre Jean Vilar à Vitry-sur-Seine est largement tournée vers l’international et le théâtre à forte teneur politique. Bruno Cochet du Théâtre de Rungis est très porté sur le cirque, Christian Lalos sur l’art en espace public… En nous réunissant, nous partageons nos connaissances et nos réflexions sur la manière de soutenir au mieux les compagnies. Dans la situation actuelle, ce dialogue est plus important que jamais : ce n’est qu’en s’associant que des théâtres de banlieue comme les nôtres pourront apporter les meilleures réponses possibles aux problèmes des compagnies », exprime Frédéric Maragnani, qui a rejoint le Groupe des 20 dès son arrivée à la tête du Théâtre de Chelles, en 2017.
Le 11 février, ce dernier a pour la première fois présenté une artiste dans le cadre des Plateaux : Sandrine Lanno, associée à son lieu. Pour faire face à la situation, explique cette dernière à l’issue de sa présentation vidéo et théâtrale, « la création prévue pour 2021 a été repoussée à 2022. Les Plateaux de février tombaient donc très bien pour notre recherche de coproducteurs et de diffuseurs. Cela m’a permis d’échanger avec mes différents partenaires, avec plusieurs professionnels qui avaient déjà manifesté un intérêt pour mon travail, ainsi qu’avec d’autres que je ne connaissais pas. Cela redonne des perspectives, c’est très précieux, d’autant plus que l’accueil a été formidable », témoigne-t-elle.
Ses Mauvaises filles ! sont fort prometteuses : parallèle entre des jeunes femmes en prise avec la justice dans les années 50 et des adolescentes d’aujourd’hui placées en centres éducatifs fermés, cette pièce se veut une ode à la liberté, à la différence. Frédéric Maragnani et certains autres de ses collègues l’attendent avec impatience. Ils ont toutefois de quoi s’occuper d’ici-là : depuis le premier confinement, les membres de chaque réseau se réunissent en effet tous les deux mois sur Zoom, pour continuer de partager leurs découvertes et leurs questionnements. Voici au moins un dialogue né du Covid, et qui y survivra sans doute.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
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