Isabelle Starkier, se réinventer pour résister
La metteuse en scène et sa compagnie imaginent de nombreuses formes nouvelles, dont des « escape théâtre » à distance, pour faire perdurer l’art théâtral par temps de pandémie.
Depuis un an, Isabelle Starkier et sa compagnie sont en ébullition. Là où certains se sont découragés, épuisés par les différents coups de massue infligés au secteur culturel, la metteuse en scène ne désarme pas et redouble d’inventivité pour faire exister le théâtre là où il peut encore advenir. « Tout est parti de la double sidération ressentie lors du premier confinement, raconte-t-elle. Celle provoquée par le moment, inédit, mais aussi celle due à l’absence de réactivité de beaucoup d’institutions qui, plutôt que d’agir, se sont réfugiées dans une grande plainte collective. » Longtemps adepte du théâtre en appartement, puis du théâtre sous parapluie, celle qui est aussi maître de conférences en études théâtrales à l’université d’Evry a mobilisé les forces vives de sa compagnie pour trouver des formes jouables par temps de pandémie.
En parallèle des représentations en extérieur de Boxing Shadows et Un gros gras grand Gargantua, données l’été dernier au pied de HLM parisiens dans le cadre du festival « Un Eté particulier » organisé par la Ville de Paris, Isabelle Starkier a mis au point des « Chroniques intempestives » pour aller à la rencontre des spectateurs. « On demande à un auteur d’écrire une pastille d’actualité d’une minute et demie, une sorte de commentaire de l’information du jour, traitée de façon burlesque, à la manière des Deschiens, précise-t-elle. Un couple de comédiens de la compagnie se rend ensuite au niveau des files d’attente qui se forment dans l’espace public, devant les boutiques, au pied des immeubles pour jouer cette chronique. Nous ne créons ainsi aucun rassemblement puisqu’il est déjà là. »
Cluedo géant
Plus novateurs sont les « escape théâtre » que la metteuse en scène propose, à distance, depuis le mois de mai dernier par l’intermédiaire de différentes organisations, villes, universités, comités d’entreprise, théâtres ou médiathèques. Une à deux fois par semaine, en moyenne, elle organise une représentation en direct, via Zoom, d’une durée de 2h30. « L’idée est de s’appuyer sur des classiques comme Dom Juan, La Mouette ou Sunset Boulevard pour écrire un scénario qui nous sert de trame, explique-t-elle. Le public est partie prenante de l’histoire puisqu’il doit interroger les acteurs suspects afin de trouver l’assassin. Les comédiens, de leur côté, alternent entre improvisations contemporaines et passages entiers issus des classiques. Ce n’est, pour moi, ni du jeu théâtral projeté, ni un naturalisme cinématographique. C’est une fabrication du vivant devant le public puisque les acteurs sont constamment en train de jouer à jouer. »
En moins d’un an, la compagnie a déjà inventé cinq « escape théâtre » différents, de Mais qui a (vraiment) tué Don Juan ? à Divine Diva, en passant par Meurtre confiné, Association de Bienfaiteurs et le très récent L’énigme du Lapin Blanc, conçu pour le jeune public à partir du Alice aux pays des merveilles de Lewis Carroll et des dessins de son illustrateur original, John Tenniel. A en croire Isabelle Starkier, chaque représentation réunirait entre 30 et 150 spectateurs, dont beaucoup ne sont jamais venus au théâtre. « C’est l’interactivité proposée par cette nouvelle forme théâtrale qui donne envie à certaines personnes de devenir spectateurs, souligne-t-elle. Ce type d’initiatives peut nous permettre de reconstituer un public de façon plus large, en le faisant se sentir agissant grâce au théâtre. Pour le séduire et le convaincre, pour recréer une demande, qui était déjà en berne avant la pandémie, il faut redoubler d’ingéniosité sur le temps long et faire perdurer ces formes nouvelles au-delà de la crise. » Quitte, d’ailleurs, à basculer, au moins en partie, du distanciel au présentiel le moment venu.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
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