La philosophe Cynthia Fleury adapte au théâtre La Fin du courage (Fayard, 2010). L’essai devient un dialogue avec des échappées romanesques plus ou moins convaincantes, interprété par Isabelle Adjani et Laure Calamy.
En 2010, Cynthia Fleury publie La Fin du courage. Dans cet essai, la philosophe, enseignante et psychanalyste part de son expérience personnelle. Soit d’une phase de découragement intime et du ressaisissement qui suivit l’abattement, ainsi que de l’inscription de cette réflexion menée sur le courage dans une perspective collective et politique. En avril dernier le Palais de Tokyo, à Paris, a accueilli une lecture de ce texte. Remodelé par Cynthia Fleury, cette mouture essentiellement dialoguée de l’essai était lue par les deux comédiennes Isabelle Adjani et Laure Calamy. C’est ce même projet que le duo, dirigé par l’acteur Nicolas Maury, remet sur le métier pour une poignée de dates à La Scala, à Paris. Annoncée comme une « lecture-mise en espace », La Fin du courage flirte entre la lecture et le théâtre, dans un entre-deux pas toujours convaincant.
Lorsque le spectacle débute, Isabelle Adjani (l’autrice, renommée Nicole-Jeanne Bastide) entre à l’avant-scène – le plateau nous demeurant inaccessible. Camouflée derrière ses attributs (amples vêtements noirs, béret, grandes lunettes), elle raconte face au public et éclairée par une poursuite, l’origine de sa réflexion sur le courage, ainsi que les règles nécessaires à sa reconquête : « Première règle. Pour reprendre courage, il faut déjà cesser de chuter. Deuxième règle : il faut accepter de prendre son temps. Troisième règle. Il faut chercher la force là où elle se trouve. Quatrième règle : faire face à la vulgarité de ce monde. Tenir. Sourire. Se tenir prêt. » Ces quatre principes énoncés en prologue vont se déplier dans quatre lieux : le domicile de l’autrice et enseignante, un plateau télé, son bureau à l’université, la montagne. Au fil de ces moments de vie l’autrice et la journaliste vont se confronter, évoluer, avancer.
Après un bref échange téléphonique croquant les relations entre le duo formé par l’écrivaine et son éditeur, la journaliste incarnée par Laure Calamy rejoint Nicole-Jeanne Bastide et toutes deux prennent place côté jardin. Là se tiendront deux entretiens : l’un, de visu seulement; l’autre, enregistré pour une émission de télévision. À travers ces dialogues où parfois intervient le rédacteur en chef en voix-off (joué par Nicolas Maury), c’est une critique se voulant mordante des médias et de leurs travers qui est brossée : tandis que la journaliste lance, taquine, au sujet des livres de Nicole-Jeanne Bastide « je les ai, mais je n’ai pas dit que je les avais lus » ; le rédacteur en chef désespère de la complexité de la parole de l’essayiste. Sur le mode de l’humour, ce pastiche d’émission pose une critique de la télévision et de ce que ses formats induisent (ou empêchent) en termes de pensée. Sauf que cette critique repose sur un propos pour le moins consensuel et convenu – la télé abêtit, c’est entendu. Et cette séquence, à vouloir susciter l’adhésion du spectateur par le rire, crée un étrange effet d’obstruction : l’interview, avec les interruptions régulières du chef rédac, en vient elle-même à faire écran aux sens des paroles échangées, comme au propos profond de l’essayiste. Dans cette scène, la critique de la télévision en vient à produire ce qu’elle entend elle-même dénoncer : un divertissement caricatural se faisant au détriment du sens.
Après cet échange, les deux femmes se quittent sans s’être véritablement rencontrées. Elles seront pourtant amenées à se revoir, car quelques temps plus tard la journaliste débarque dans le bureau de Bastide à l’université. Le dialogue reprend. Cette fois, la journaliste convainc l’autrice de l’accompagner en montagne. Pour la première, il s’agit de renouer avec la passion de son père décédé ; pour la seconde, de dépasser son vertige. Ensemble elles vont apprivoiser leurs peurs et inquiétudes intimes pour atteindre, de concert, le courage. Ce parcours leur donne l’occasion de prolonger leurs discussions philosophiques ; de confronter leurs points de vue et de se révéler à elles-mêmes.
On le comprend : écrivant ici une version théâtralisée de son essai, Cynthia Fleury en assume la part de fiction, la recherche d’effets comiques comme les leviers romanesques. Cela au risque de procédés parfois convenus ou faciles. Souffrant de longueurs, le texte s’enferre dans un propos un brin mièvre et dans des dialogues didactiques, que la présence des deux comédiennes ne parvient pas à faire oublier. Quant à l’entre-deux entre lecture et mise en scène, il dessert en l’état plus qu’il ne soutient le propos. Les deux actrices jouent actuellement encore chacune d’un côté, et leurs tentatives de répondre aux propositions de mise en scène le texte en main donnent un sentiment d’une forme inaboutie. Ce que l’on retiendra de ces parcours intimes sont l’interprétation émouvante et juste de Laure Calamy. Là où Isabelle Adjani campe une Nicole-Jeanne Bastide hermétique et froide, encore trop distante et engoncée dans son costume pour révéler un personnage convaincant, Laure Calamy s’engage sans aucune mesure. Drôle, sincère, émouvante, la comédienne (révélée au grand public, comme Nicolas Maury par la série télévisée Dix pour cent) parvient à donner de l’épaisseur à son personnage et à nous le rendre accessible, au-delà des clichés.
Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr
La Fin du courage
Version théâtrale de Cynthia FLEURY
Avec Isabelle ADJANI et Laure CALAMY
Mise en espace de la lecture Nicolas MAURY
Durée : 1h30du 17 au 21 décembre, à 21h.
à La Scala, 13, boulevard de Strasbourg, 75010 Paris
Bravo !!!!
Seulement si vous voulez dépenser 37 euros pour voir deux célèbres comédiennes, le nez plongé dans leur texte, dans une mise en scène dîgne d’un spectacle de club med. Extrémement choqué de voir un grand texte de philosophie massacré par du burlesque « vu à la télé ». Anti philosophique et décidément décourageant !
vu hier soir, salle comble et enthousiaste à la fin, 10 mn d’applaudissement debout, avec une Isabelle Adjani qui finit par se dérider à la fin.
je rejoins la critique largement positive pour la prestation de Laure Calamy, variée, engagée, dans des situations pas toujours simples en terme de mise en scéne, mais enthousiasmante.
Isabelle Adjani est dans la retenue, la distance, mais je suis convaincu que c’est en accord avec Cynthia Fleury car tout le spectacle est marqué par une forte auto-dérision, et l’excès du personnage doit en faire partie. Isabelle est juste époustouflante dans sa qualité de lecture, elle vous accroche à la première phrase et ne vous lâche plus ..
L’ensemble « philosophie + humour » est largement convaincant, et permettra à ceux qui sont un peu justes pour comprendre le livre, vu son niveau (et j’en fais partie ..) de mieux appréhender le propos.