À travers une carte blanche offerte par Marie-Agnès Sevestre, Hassane Kassi Kouyaté a offert au public des Francophonies en Limousin 2018 un bel aperçu des scènes écritures et martiniquaises. Avant de prendre la direction du festival, dont il entend notamment affirmer l’ancrage sur le territoire.
Entre le conteur, auteur, acteur et metteur en scène Hassane Kassi Kouyaté et les Francophonies en Limousin, c’est une longue histoire dont le prochain épisode commencera en janvier prochain. Lorsqu’il aura quitté la direction de la Scène nationale Tropiques Atrium qu’il a mise en place en Martinique, pour prendre celle du festival né en 1984 d’une colère de Pierre Debauche. Lequel n’admet alors « pas d’avoir vu refusé au Festival d’Avignon un Shakespeare joué par des acteurs martiniquais, sous prétexte que ‘’le public n’y comprendrait rien’’ et qui du coup fait de Limoges la capitale des Francophonies », rappelle dans le programme de la 35ème édition des Francophonies en Limousin son président Alain Van der Malière.
Une transition en douceur
Invité à Limoges dès 1988 pour y jouer avec son père, le griot Sotigui Kouyaté, le futur directeur a en effet participé à pas moins de 22 éditions du festival. Que ce soit en tant qu’artiste, que spectateur ou professionnel. En décidant de lui offrir une carte blanche pour sa treizième et dernière année à la tête du festival, Marie-Agnès Sevestre souhaitait donc autant mettre en avant une longue complicité que donner à découvrir une scène méconnue en métropole. Annoncée entre temps, la nouvelle nomination a fait de ce temps fort une transition exemplaire. Très éclectique, la carte blanche d’Hassane Kassi Kouyaté a donné une idée du directeur qu’il est à Tropiques Atrium. Et, sans doute, de celui qu’il sera à Limoges.
Entre une lecture musicale de textes de Suzanne Césaire qu’il a lui-même dirigée, deux concerts – l’un de jazz, avec le guitariste et compositeur Nicolas Lossen et le batteur, tambouyé et compositeur Arnaud Dolmen ; l’autre avec The Ting Bang qui revisite la tradition du bèlè et avec le fameux ambianceur Dédé Saint-Prix – , une adaptation en créole de Pour un oui ou pour un non de Nathalie Sarraute et une conversation avec le romancier, essayiste et poète martiniquais Patrick Chamoiseau, sa « Fabrique tropicale » fut en effet à l’image de l’artiste qu’il est. Aussi tourné vers le texte que vers la musique. Ancré dans des traditions mais aussi en prise avec le présent. Ouvert à toutes les cultures. À toutes les langues.
La francophonie en question
« Dans ma vision de la francophonie, la langue n’est pas centrale. L’important, c’est la culture. Je défends une francophonie de chair, de création, de dialogue, de partage », affirme Hassane Kassi Kouyaté lorsque, sous la tente berbère qui fait office de centre du festival, on lui pose la question. Sous la même tente, plus tard, Patrick Chamoiseau exprime une vision similaire de la francophonie : « il y a un imaginaire caribéen, créole et américain, constitué du génocide des amérindiens, de la traite des nègres, de la colonisation et des différentes formes néo-colonialisme. Pour cette raison, ma structure d’imaginaire est plus proche d’un Gabriel Garcia Marquez que d’un écrivain français. Ce n’est pas la langue qui donne la fraternité, mais cette structure. La francophonie créée des solidarités liées au fonctionnement de la langue française et à sa situation dans le monde, mais pas des fraternités ». Des paroles lumineuses qui invitent à une réflexion en profondeur sur la notion de « francophonie ».
Alors que la ministre de la culture Françoise Nyssen annonçait en début de festival la création trois « pôles de référence » pour les artistes francophones en France – les Francophonies en Limousin, Théâtre Ouvert et La Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon – afin de « rendre la francophonie plus visible, plus audible sur toutes les scènes – petites et grandes, territoriales et nationales », Hassane Kassi Kouyaté dit la nécessité de définir de manière collective la francophonie et le théâtre francophone. « Si au début des Francophonies en Limousin, le paysage du théâtre dit francophone en France était quasi-vierge, ce n’est plus le cas aujourd’hui. C’est même devenu une sorte de phénomène, dont le soutien par l’État peut sembler stratégique. D’où une certaine confusion, qu’il faut absolument lever en s’entendant sur une définition qui permettra de préciser le rôle des Francophonies en Limousin ».
Ancrage local pour dialogue mondial
Pour mener ce travail, Hassane Kassi Kouyaté compte s’appuyer sur celui de Marie-Agnès Sevestre, qui a notamment beaucoup développé la Maison des auteurs avec sa responsable Nadine Chausse en créant le festival Nouvelles Zébrures et le prix Sony-Labou-Tansi des lycéens. Comme sur l’héritage laissé par Monique Blin et son successeur Patrick Le Mauff, qui signe la mise en scène de Pou an wi pou an non, l’adaptation en créole du texte de Nathalie Sarraute cité plus tôt. À partir de ces bases solides, il souhaite redéfinir la structure. « Les Francophonies en Limousin ne sont plus seulement un festival. Avec la Maison des auteurs, les actions culturelles et de nombreux autres événements, c’est devenu une structure active toute l’année, dont il faut définir précisément le statut ».
Afin d’assoir l’ancrage du festival à Limoges et dans la région, Hassane Kassi Kouyaté prévoit aussi de programmer davantage de spectacles dans l’espace public. Et, « comme un arbre ne peut pas grandir s’il n’est pas vissé quelque part, sinon ça devient un pot de fleurs que tu transportes », il désire trouver un lieu permanent au cœur de la ville. « Depuis la coupe budgétaire qu’elles ont subie en 2007, Les Francophonies en Limousin sont dans une situation délicate. Sans lieu, une structure ne peut développer son identité ». Ni dialoguer correctement avec le monde. Annoncée en même temps que la création des trois « pôles de référence » francophones par Françoise Nyssen – ministre de la culture, une augmentation budgétaire (de 150.000 euros) pourrait permettre d’amorcer le tournant qu’envisage Hassane Kassi Kouyaté. La 36ème édition du festival des Francophonies en Limousin se déroulera du 25 septembre au 5 octobre 2019.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
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