A travers les travaux de sept commissions, les Etats Généraux du Festival d’Avignon Off proposent des solutions pour remédier à ses dérives artistiques et économiques. Revue de détail.
Ils se sont donnés trois ans pour imaginer des propositions et les défendre. Le délai peut paraître long, mais la mission des Etats Généraux du Festival d’Avignon Off (EGOFF), nés en avril 2020, est de taille : redéfinir économiquement, socialement et artistiquement une manifestation qui, aux yeux de beaucoup, serait arrivée au bout d’un cycle. « Nous sommes partis du constat que le Festival Off peinait à se maîtriser et que les artistes pouvaient en être les grands perdants », regrette la co-présidente de l’AAFA (Actrices Acteurs de France Associés), Sophie-Anne Lecesne. Depuis plusieurs mois, des institutions, artistes, élus, compagnies, commerçants, journalistes et universitaires se sont donc mis autour de la table pour réfléchir en profondeur sur les modes de fonctionnement à adopter ou à corriger. Au total, ils sont plus d’une centaine de professionnels à phosphorer dans sept commissions différentes, dont les premières conclusions – d’autres sont attendues dans les prochains mois – ont été rendues publiques lundi 26 avril.
Créer un label vertueux
Le premier groupe de travail s’est intéressé aux synergies possibles entre les lieux et les compagnies. « Nous souhaitions identifier les enjeux communs, les différences et les préjugés des uns et des autres », résume le représentant des Sentinelles, Laurent Domingos. Au fil des discussions, a émergé une double menace : celle qui, d’une part, remet en cause la pérennité du Off, pris dans une bulle – augmentation du nombre de spectacles, envolée des coûts pour les compagnies et les spectateurs, concentration extrême… – qui pourrait exploser ; et celle qui, d’autre part, malmène la création artistique. « Les contraintes techniques et financières qui pèsent sur les théâtres engendrent un formatage des propositions, en matière de durée, de moyens et de nombre de comédiens », complète Laurent Domingos.
Pour tenter d’y remédier, les membres de la commission proposent d’aller vers une collaboration plus durable et profonde entre les institutions et les artistes ; de mettre en place un système de solidarité transversale entre les petits et les gros théâtres, les compagnies émergentes et les compagnies confirmées afin, par exemple, que la programmation des plus fragiles soit subventionnée par les plus solides ; mais aussi de créer un label fondé sur des critères vertueux. « Il réunirait un ensemble de pratiques favorables à la création artistique, à la durabilité et à la résilience, précise le représentant des Sentinelles. Grâce à un système de contrôle, il garantirait les conditions d’accueil et la transparence d’un théâtre, ou encore le fait qu’une compagnie paie tous les artistes présents au plateau. Ce label doit être inclusif et incitatif. On peut imaginer que ceux qui l’ont obtiennent peut-être plus facilement des subventions. »
Instaurer un système de parrainage
Autre chantier pris en charge par l’une des commissions, les synergies avec les publics. « Nous avons raisonné en trois temps, avant, pendant et après le Festival, afin de travailler, à la fois, sur l’ancrage territorial, la possibilité du pas de côté pour le spectateur et l’empreinte à laisser dans sa mémoire », explique Sophie-Anne Lecesne. Des différentes séances de travail sont nés trois projets : la création d’un colloque sur la question du public pour mieux connaître, grâce à une série de critères plus qualitatifs que quantitatifs, les spectateurs du Off, mais aussi du In ; la mise au point d’une plateforme rassemblant les acteurs locaux afin de favoriser la coopération artistique, tout au long de l’année, sur le territoire ; et l’idée d’un village hors les murs où la population avignonnaise participerait à la convivialité et à l’hospitalité. « Une telle initiative permettrait d’ancrer le Festival sur une plus longue durée, mais aussi de briser la barrière des remparts », espère la co-présidente de l’AAFA. Parallèlement, cette commission travaille, à l’état d’ébauche cette fois, sur l’ouverture de saisons par les théâtres avignonnais, sur des espaces de rencontre entre les spectateurs et les artistes, mais aussi entre les spectateurs eux-mêmes, ainsi que sur la transparence du prix du billet. « Cela permettrait au public de savoir exactement ce qui va au théâtre, ce qui va au logement et ce qui va à la création », ajoute Sophie-Anne Lecesne.
Dans la même veine, d’autres professionnels ont réfléchi aux synergies possibles entre les compagnies qu’elles soient expérimentées, tout juste subventionnées ou conventionnées, ou fraîchement créées. Fondé sur le principe du parrainage, le premier dispositif permettrait à une compagnie émergente d’être accompagnée par une compagnie confirmée pendant 18 mois. « La seconde pourrait aider la première à se poser les bonnes questions comme « Où va-t-on jouer ? » ou « Quel est le rétro-planning ? », note Pauline Rémond, membre de la compagnie Les Rivages. On peut aussi imaginer que, au cours de la première année, la compagnie expérimentée héberge la compagnie émergente sur son créneau de relâche pour lui permettre de présenter un pitch ou une maquette de son spectacle. » A cela, s’ajoute un autre projet, baptisé « Autres temps ». Sur des créneaux de deux ou trois heures, voire d’une demi-journée, un intervenant viendrait parler de son spectacle et/ou des problématiques qu’il rencontre à d’autres artistes. « Contrairement à notre troisième idée qui serait de créer un festival externalisé dans une autre ville, mais toujours en lien avec le Off, pour aider les compagnies à programmer de la création, les deux premiers projets pourront entrer en phase test dès l’édition 2021 », se réjouit Pauline Rémond.
Supprimer l’affichage sauvage
Parce que le Festival d’Avignon ne peut plus se concevoir sans ses coûts annexes, mais prohibitifs, liés au logement, à la restauration, au transport ou à la publicité, la commission représentée par le metteur en scène Michel Alban s’est emparée de ces questions. Pour résoudre la délicate équation de l’hébergement, elle propose que des structures « collectives et basiques » soient créées à destination des artistes qui viendraient pour la première fois, mais aussi que les loueurs soient encouragés à avoir des comportements plus vertueux, en passant s’il le faut, « et même si cela peut s’avérer très complexe à mettre en place », par un encadrement des loyers. « Ils doivent comprendre qu’ils ne peuvent pas pratiquer les mêmes tarifs pour ceux qui viennent travailler que pour des touristes », plaide Michel Alban.
Quant à la restauration, la commission imagine un système de cantine solidaire, tenue en partenariat avec des associations locales, ou de paniers que les compagnies pourraient prendre et consommer à domicile. « Concernant la publicité, une seule chose est sûre : la débauche de flyers, de tracts et d’affiches n’est plus dans l’air du temps, et l’affichage sauvage doit être supprimé, conseille le délégué national du Synavi. Pour le remplacer, les compagnies pourraient utiliser des flashcodes, privilégier les sites Internet, organiser un affichage au niveau des théâtres ou encore se regrouper pour acheter de la publicité. » Et le membre des Ecrivains associés du théâtre (EAT), Eric Verdin d’ajouter : « Nous devons également tout faire pour que les réflexions autour de ces problématiques bénéficient aussi à tous les publics car les spectateurs restent moins longtemps au Festival qu’auparavant – quatre jours au lieu d’une semaine. Pressés par le temps, ils veulent voir les choses qui marchent et font beaucoup moins de paris, ce qui a un impact sur la fréquentation des salles et la programmation des théâtres. »
Aiguiller les programmateurs
Une thématique que la commission « Diffusion et programmation » a élargi aux professionnels. Consciente que les programmateurs sont « submergés par les grosses compagnies », qu’ils « viennent moins longtemps pour des questions de coûts et cherchent à aller vers l’utile et ce qui va « plaire à leur public » » et qu’ils « travaillent souvent avec les mêmes lieux et les mêmes attachés de diffusion », selon les mots de la coprésidente de l’AAFA, Tessa Volkine, elle a échafaudé trois chantiers : la création d’un petit-déjeuner qui réunirait les programmateurs, les chargés de diffusion et les compagnies, la mise en place d’une réunion, en amont du Festival, pour les primo-festivaliers et les structures fragiles, et la réalisation d’une cartographie des festivals et réseaux de programmation potentiellement intéressés par les spectacles du Off.
En complément, un sixième groupe de travail s’est penché sur l’épineuse question de la presse. « De nos travaux, est ressortie l’idée que les attachés de presse sont un rouage essentiel entre les artistes, les lieux et les journalistes, défend Isabelle Muraour, fondatrice de l’agence Zef. Il serait donc bien que tous les théâtres disposent d’un attaché de presse, ce qui permettrait aux compagnies qui ne peuvent pas en avoir un d’être aidées par celui du lieu, que les attachés de presse indépendants se mettent en relation avec ceux du Off et que des réunions soient organisées avec les artistes pour leur donner des conseils sur la bonne stratégie à adopter. »
Reste alors un dernier sujet, et non des moindres, celui de la gouvernance. « En l’absence de régulation, ne subsistent que des stratégies individuelles qui ne peuvent qu’engendre de la violence, déplore Eric Verdin. Nous devons donc édicter des règles collectives afin d’arrêter cette chose qui, tous, nous dévore. » Pour cela, la septième et dernière commission entend faire remonter les résultats des différents travaux à l’ensemble des pouvoirs publics et réfléchit à la structuration de la gouvernance qui pourrait, par exemple, prendre la forme d’une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) et non d’une association type loi 1901. « Nous ne sommes pas naïfs et sommes bien conscients que l’ensemble de ces changements ne se feront pas en un jour, mais l’important est d’ouvrir les possibles pour mettre fin au formatage de la création artistique et des esprits », conclut Sophie-Anne Lecesne.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Attention à l’implication trop active des professionnels parisiens. Le Off a une histoire et Avignon en est le lieu. Évitons que cette ville ne devienne qu’un support logistique.
Il est plus que temps pour le Off de se réguler et de se réorganiser.
Dans le texte ci dessous je ne vois pas beaucoup (pas du tout) de prise en compte et de souci du public.
Je ne peux qu’encourager les pratiques respectueuses du droit du travail de tous les participants et la réflexion relative à la communication onoréreuse et inefficace. Le off ne se développe pas il prolifère telles des cellules malignes qui le tuent.