Fondée en 2012 par des artistes pour des artistes, *DUUU radio offre à ses contributeurs un espace de création et d’expression unique en son genre en France. Pendant le confinement, elle met en valeur ses riches archives tout en continuant de produire de nouvelles émissions.
Nichée tantôt au Théâtre de Gennevilliers (T2G) où elle est en résidence depuis 2016, tantôt à La Villette dans l’une des 24 Folies, ces petits bâtiments rouge vif ouverts au public installés dans l’ensemble du Parc, *DUUU est une radio artistique mobile. Fondée en 2012 par quatre artistes plasticiens, elle est nourrie aujourd’hui par une trentaine de correspondants installés un peu partout en France et par de nombreux collaborateurs plus occasionnels. Le confinement ne les a pas découragés, au contraire. Bien que privés des outils radiophoniques professionnels que l’équipe de la radio met en temps plus normaux à leur disposition, nombreuses sont les personnes qui continuent de leur proposer des émissions. Ces formats réalisés de manière assez artisanale sont mis à l’honneur à l’antenne aux côtés d’enregistrements plus anciens. Très variés, ils offrent chaque jour à l’auditeur des voyages très différents, où l’imaginaire côtoie toujours la réflexion.
Une radio libre, même confinée
« *DUUU est née d’un constat : la rareté des mediums prêts à accueillir la parole des artistes dans toute leur singularité, sans contraintes de formes ni de durée », explique Simon Nicaise, l’un des fondateurs de la webradio. Cette ouverture attire rapidement des artistes et penseurs issus d’autres champs que celui des arts plastiques. Écrivains, sociologues ou encore musiciens y proposent régulièrement des fictions, des entretiens ou encore des compilations musicales. Tandis qu’en faisant de *DUUU l’un de leurs terrains de jeu, d’exploration, divers acteurs du champ de l’art contemporain s’aventurent au-delà des frontières de leur discipline. Ou ils l’appréhendent sous un jour nouveau.
Une liberté rare selon le critique d’art Damien Airault, qui apprécie particulièrement la « dimension quasi-familiale, mais aussi la grande efficacité et l’organisation de cette webradio ». « Autour du noyau de départ, un mouvement s’est créé sous forme de rhizome, et ne cesse de se développer. Ce modèle est unique à ma connaissance. Il est passionnant ».Pour contribuer à *DUUU, guère besoin d’être un pro de la radio. Si l’idée et l’envie sont là, l’équipe fait le reste. D’où le nom de la chaîne, dont on apprend sur la page d’accueil qu’il est la traduction du mot « radio » en code Parsons, système de notification musicale inventé en 1975 par Denys Parsons pour rendre accessible à tous la lecture de la musique. Il n’y a qu’à se pencher sur la grille de programmation quotidienne pour en être convaincu, ou se perdre dans les archives, toutes accessibles en ligne – plus de 1000 émissions ont été réalisées à ce jour.
Souvent, l’art s’y mêle avec le monde. Dans les programmes réalisés à Gennevilliers par exemple, dont plusieurs ont été rediffusés depuis le 17 mars. On réécoute avec plaisir un entretien entre le metteur en scène et directeur du T2G Daniel Jeanneteau et le critique d’art et commissaire d’exposition Jean-Yves Jouannais. On active notre pensée critique avec la Revue parlée de la Revue Incise, éditée par le T2G. Ou on explore les enregistrements de « Radio sans nom », dispositif radiophonique de groupe qui rassemble une fois par semaine des patients du CATTP d’Asnières (centre thérapeutique à temps partiel) et leurs soignants. « Un projet issu de ‘’La Colifata’’, la radio des internes et exinternes de l’hôpital Borda de Buenos Aires, la première radio au monde à émettre depuis un hôpital psychiatrique il y a 25 ans ».
Un carrefour d’expériences sonores
Tous les sujets, sous toutes les formes, ont droit d’antenne sur *DUUU. Car chacun peut se l’approprier comme il l’entend. Pour Damien Airault par exemple, la webradio est un prolongement de son activité de critique d’art. Depuis 2016, il a ainsi réalisé plusieurs entretiens avec des artistes, notamment dans le cadre du salon d’art contemporain Offprint, l’un des nombreux événements qui fait régulièrement appel aux talents et compétences de l’équipe de la webradio. En confinement, il a aussi enregistré une émission en trois épisodes : Portrait d’un jeune critique, où il lit lui-même une longue interview du critique d’art et théoricien Craig Owens. Un bonheur, notamment pour les critiques confinés en pleine réflexion sur leur pratique. Dans ses émissions Very Book réalisées en confinement, la designer graphique Victoire le Bars questionne elle aussi son métier. En dialoguant en direct avec des artistes qui placent l’écriture au centre de leur processus de création, elle cherche à « ouvrir les champs d’actions du designer graphique, qui n’est alors plus un technicien en bas de la pyramide et qui devient un producteur ».
Formée au graphisme aux Beaux-Arts de Toulouse, Liza Maignan se permet elle aussi grâce à *DUUU des échappées hors de ses pratiques habituelles. En confinement, elle a ainsi proposé une série d’émissions intitulée Le film des voix, née d’une interrogation sur le rapport entre voix et images. En diffusant les paroles et sons de Hurlement en faveur de Sade de Guy Debord, de L’Homme Atlantique de Marguerite Duras et de Branca de Neve de João César Monteiro, elle propose « un déplacement des mediums radiophoniques et cinématographiques » qui mérite l’écoute. Elle compte continuer de profiter du temps que lui offre le confinement pour mettre en voix plusieurs récits d’expositions : L’exposition de mes rêves de Jean-Max Colard, le film-exposition The Black-Moon de Sinziana Ravini et les albums de Saâdana Afif édités chez Lyrics Records.
Comme elle et bien d’autres contributeurs de la webradio, Théo Robine-Langlois décloisonne aussi les arts sur les ondes. Il y propose aussi bien des playlists musicales que des lectures de poésie sonore. On peut aussi y découvrir la pièce sonore réalisée à partir de son premier texte, C’est toujours beau un nuage au pire c’est chiant. « *DUUU permet aux artistes d’avoir une pleine maîtrise des conditions de production de leur travail. C’est une des choses qui m’intéresse particulièrement dans leur démarche », explique-t-il. Sur ce, nous retournons à notre exploration !
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
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