Le metteur en scène David Bobée a confié les clefs du septième épisode de son feuilleton théâtral Mesdames, Messieurs et le reste du monde à ce duo de femmes aux caractères artistiques bien trempés. Dans une ambiance très rock, accompagnées par une vingtaine de citoyens, elles font entendre les mots d’auteurs et d’autrices intimement engagés pour la cause des femmes, des lesbiennes et des transsexuelles.
En ce samedi 14 juillet, il régnait comme une atmosphère électrique au-dessus du Jardin Ceccano, habituellement si paisible. Dès 10 heures du matin, les festivaliers ont commencé à affluer pour assister au moment théâtral unique qui s’annonçait. Après avoir expliqué par la menu la notion de genre, monté un atelier drag king et célébré « la première Cérémonie des Molières non raciste et non genrée », David Bobée a donné carte blanche à la romancière Virginie Despentes pour le septième épisode de son feuilleton théâtral Mesdames, Messieurs et le reste du monde avec Béatrice Dalle en maîtresse de cérémonie.
Une fois les portes ouvertes, sous le soleil de plomb de l’été avignonnais, les spectateurs se sont rués sur les quelques bancs, massés debout, assis dans les allées, voire, pour les plus téméraires, accrochés aux grilles du jardin. A peine midi sonné au clocher de l’église voisine, la comédienne toute de noire vêtue, son tatouage affleurant, s’est installée au pupitre, sous les applaudissements nourris de cette agora éclectique.
Tel un uppercut envoyé avec fureur, Béatrice Dalle s’est emparée de sa voix grave, profonde, des mots du King Kong théorie de Virginie Despentes, histoire de donner le ton d’une heure de féminisme à coups de marteau, comme la romancière en a le secret. « J’écris de chez les moches et pour les moches, les vieilles, les camionneuses, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, les hystériques et les tarées. Toutes les exclues du marché de la bonne meuf. Alors, je commence par là pour que les choses soient bien claires : je ne m’excuse de rien, je ne viens pas me plaindre, et je n’échangerai ma place contre aucune autre parce qu’être Virginie Despentes me semble être une affaire bien plus intéressante à mener que n’importe quelle affaire. »
Au son d’un grondement sourd, balancé avec de plus en plus de puissance, Béatrice Dalle, les cornes du diable au poing, est bientôt rejointe par un groupe d’une vingtaine de citoyennes et comédiennes amatrices, disposées debout, face public, formant une armée prête à en découdre contre ce machisme plus ou moins latent qui entend faire de la femme un simple objet silencieux et désirable. Pour élargir son horizon textuel au-delà de sa propre œuvre, évoquer les lesbiennes, les « butch » ou encore les transsexuelles, Virginie Despentes est allée chercher des fragments littéraires chez d’autres auteurs et autrices de combat comme Dorothy Allison, Zoe Leonard, Paul B. Preciado, Valérie Solanas et Leslie Feinberg, dont elle reprend elle-même la « Lettre à Teresa« , début de son roman Stone Butch Blues.
Sous le regard ému et attendri de Béatrice Dalle, la romancière laisse de côté l’ambiance rock qui prévalait jusqu’ici et s’empare d’une voix éraillée, bouleversante, de cette missive adressée à une ex-amante. Progressivement, le silence se fait dans le jardin Ceccano à l’écoute dans ces mots poignants, tranchants. Terrible plongée dans l’Amérique des années 1960, ils rappellent qu’à une époque pas si lointaine, les LGBT+ étaient encore pourchassés, harcelés, humiliés par la police, alors qu’ils voulaient simplement vivre et s’aimer. La performance valait bien un triomphe.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Mesdames, Messieurs, et le reste du monde
Avec Rebecca Chaillon, Gerty Dambury, Adrián De La Vega, Radouan Leflahi, Grégori Miège, des citoyens amateurs de théâtre et la nouvelle promotion de l’École de la Comédie de Saint-ÉtienneEt Rachele Borghi, Tewfik Bouzenoune, Béatrice Dalle, Elias Dabboussi, Virginie Despentes, Rokhaya Diallo, Malik Djoudi, Vincent Guillot, Charly Lionetti, Phia Ménard, Gurshad Shaheman, François Stemmer,CaroleThibaut, Mathieu Touzeil-Divina, Agnès Tricoire, Clémence Zamora-Cruz…
Conception David Bobée
Texte Ronan Chéneau
Dramaturgie Arnaud Alessandrin et Ronan Chéneau
Coordination artistique Sophie Colleu
Son Jean-Noël Françoise
ProductionProduction Festival d’Avignon
Coproduction CDN de Normandie-Rouen, La Comédie de Saint-Étienne CDN
Avec le soutien de la Région Normandie, Ville de Rouen et pour la 72e édition du Festival d’Avignon : Fondation SNCF, mécène du feuilleton au jardin Ceccano depuis quatre ans, SACD
En collaboration avec la bibliothèque Ceccano
Durée : 1h72e édition du Festival d’Avignon
Le jardin Ceccano
Du 7 au 21 juillet sauf le 15 et le 20 à midi
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