Après le succès des trois premières éditions du singulier festival WET°, la création émergente a pour la quatrième année investi le Théâtre Olympia – CDN de Tours et plusieurs lieux de la métropole. Ce dernier cru fut l’occasion de quelques découvertes dont Durée d’exposition de Camille Dagen avec Hélène Morelli et Thomas Mardell, et d’autant de déceptions.
« Ils sont passés par là ». Avant même sa quatrième édition, qui s’est déroulée du 22 au 24 mars 2019, l’équipe de WET° (pour « Week End au Théâtre », et non pour « mouillé » en anglais) pouvait employer l’expression favorite des chargés de communication de festivals. Le collectif Os’o en 2016, Marion Siéfert ainsi qu’Hugues Duchêne l’année suivante puis le Collectif le Grand Cerf Bleu et la Compagnie le Théâtre des trois Parques de Julie Delille avec Je suis la bête, au programme du prochain Printemps des comédiens… En accueillant ces artistes, et bien d’autres, alors qu’ils étaient encore presque inconnus, le rendez-vous initié par Jacques Vincey et son équipe dès leur arrivée à la tête du Théâtre Olympia – CDN de Tours s’est en effet rapidement fait connaître comme un lieu de découverte de jeunes compagnies. Comme un lieu d’émergence, d’autant plus précieux qu’il est organisé selon un principe original, qui remet en question les pratiques institutionnelles dominantes en matière d’aide à la jeune création.
WET°, en effet, n’est pas de ces festivals que Michel Simonot décrit dans La langue retournée de la culture – passionnant petit dictionnaire critique qui déconstruit le langage des politiques culturelles actuelles, en bonne place sur les rayonnages de la petite bibliothèque du Théâtre Olympia – comme des « coups répétitifs mais isolés, dont la valeur retombe prioritairement sur l’organisateur : celui qui affiche sa préoccupation pour l’émergence ». En confiant la programmation de WET° aux comédiennes et comédiens de leur ensemble artistique du Jeune Théâtre en Région Centre-Val de Loire, l’équipe du CDN bouscule les hiérarchies habituelles. Elle prend le risque non seulement d’accueillir, mais aussi de défendre sur la durée des propositions qu’elle n’aurait pas forcément retenues par elle-même.
WET° ne fait pas non plus partie de ces « manifestations de repérage » dont les sélectionnés, « s’ils peuvent bénéficier d’une visibilité momentanée, ne sont qu’exceptionnellement accompagnés dans la durée. Sauf s’ils constituent à l’évidence une source possible d’investissement pour l’avenir immédiat, mais exceptionnellement à long terme ». Plusieurs compagnies programmées dans le cadre de WET° ont d’ailleurs été programmées par la suite au Théâtre Olympia. Les passerelles entre le festival et le reste de la saison sont multiples. Cette année par exemple, Camille Dagen, la nouvelle scénographe de Jacques Vincey depuis le départ de Vanasay Khamphommala qui a fondé sa compagnie Lapsus chevelü, présentait à WET° Durée d’exposition. De loin, la plus mature des neuf créations choisies par l’ensemble artistique parmi un nombre considérable – trop, peut-être, pour un groupe qui se renouvelle à moitié chaque année.
« Un herbier de moments ». Utilisée par Camille Dagen et Emma Depoid sous le nom de leur Cie Animal Architecte, l’expression exprime bien la nature fragmentaire de Durée d’exposition. Son côté à la fois ludique et extrêmement sérieux, méthodique. Composée de tableaux interprétés par les excellents Hélène Morelli et Thomas Mardell, Durée d’exposition ne cherche pas à raconter quoi que ce soit. Surtout pas la rupture amoureuse, leitmotiv dont les deux comédiens s’emparent de manières très diverses au plateau. Comme pour mesurer leurs limites. Pour prendre les parfaites dimensions de leur de leur pratique, avant de tenter un dépassement. Bien qu’organisés selon un ingénieux parallèle avec le protocole de la photographie argentique, ces expérimentations sont pleines de la liberté qui les a vues naître. C’est là la grande réussite de Durée d’exposition, que de réussir à concilier une solide réflexion sur le geste théâtral, et un plaisir manifeste du jeu.
Deux autres créations révèlent des univers originaux, bien que de manière moins affirmée. Moins aboutie. Dans Le Palace de Rémi, la compagnie franco-belge Laïka fondée par Judith Longuet Marx déploie un joli mélange de théâtre de musique pour raconter le quotidien de trois amis versés dans l’art peu commun de faire de la musique avec des plantes connectées. Parfait dans ce registre absurde, le comédien Ferdinand Niquet-Rioux est pour beaucoup dans la tenue de la pièce, à laquelle il manque pourtant encore quelques degrés d’étrange pour emporter tout à fait. Quoique très différent, le seul en scène de cirque, danse et marionnette Capuche de Victoria Belen Martinez présente un peu les mêmes qualités, et les mêmes défauts. Après une mystérieuse introduction qui débouche sur l’apparition d’un personnage d’encapuché au corps élastique, l’artiste d’origine argentine, formée au CNAC, adopte dans cette première création une gestuelle plus narrative qui a tendance à limiter la profondeur de sa drôle de figure. Son pouvoir d’étonnement.
Parmi les pièces restantes, certaines semblent avoir été choisies avant tout pour leur sujet : Part-Dieu, chant de gare de la compagnie Le Grand Nulle Part, où il est question de la situation des mineurs isolés étrangers, et Toi, tu creuses de la compagnie La pensée chatoyante qui aborde l’affaire de l’amiante. Restent Change me de la Compagnie Mauvais Sang et Je m’en vais mais l’État demeure d’Hugues Duchêne, vues bien avant le festival, et quatre dont il est bien difficile de comprendre la présence à WET°, dont cette quatrième édition ne fut pas si ensoleillée qu’escompté. Il ne faudrait pas que le festival soit victime de son succès.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
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