Dans À l’infini du baiser, qu’elle met en scène avec Vincent Reverte, Frédérique Keddari-Devisme questionne la notion de fin dans l’amour. Fin du désir, fin de la vie… À travers deux histoires qui se croisent, elle aborde avec subtilité – mais non sans quelques maladresses – les petits et les plus grands drames de l’intimité conjugale. Et leurs revers faits de joie, de désir.
Bien qu’entourés par de grands panneaux lumineux dont le bleu profond crée une atmosphère hors du temps, onirique, Aude Léger et Stéphane Herve placent d’emblée À l’infini du baiser dans le domaine du quotidien. Celui de Marie, médecin oncologue, et de Marco, cadre supérieur, qui vivent en couple avec leurs deux enfants, qui s’aiment encore mais qui avec le temps ont vu s’échapper le désir, la folie. Dans la conversation banale qui ouvre la pièce, ils expriment leur tendresse, leur plaisir d’être ensemble. Mais entre la lecture d’une recette de cuisine et quelques autres phrases sans importance, ils disent aussi leur tristesse, leur culpabilité d’avoir laissé s’installer entre eux l’habitude. La routine. En faisant cohabiter ces pensées secrètes et le dialogue de tous les jours, l’auteure Frédérique Keddari-Devisme, accompagnée à la mise en scène par Vincent Reverte, imagine un langage subtil pour aborder l’intimité conjugale. Sa joie et ses érosions.
En parallèle du train-train de Marie et Marco, les comédiens Olivia Darlic et Ali Esmili jouent l’histoire d’un autre couple. Ils sont Jannet et Malek, deux personnes dont l’amour est lui aussi perturbé. Non par l’habitude cette fois, mais par la maladie : dès les premières minutes du spectacle, on apprend par l’entremise de Marie que Jannet est atteinte d’un cancer. À demi-mots, on comprend que ses chances de survie sont limitées. Et que commence pour elle une lutte dont tout autre est automatiquement exclu. D’abord relativement autonomes, les deux fils narratifs de À l’infini du baiser s’entremêlent au fil des scènes. Grâce à une construction habile, les trajectoires de Marie et Malek se croisent. Leurs chagrins les rapprochent et donnent lieu à des envies nouvelles. À des rêves d’amour qui deviennent bientôt réalité.
Tantôt très simple, concrète, tantôt pleine d’images et de méandres, l’écriture de Frédérique Keddari-Devisme se déploie hors de tout pathos. Portée par un jeu subtil, nuancé, elle donne à sentir la fragilité de chaque personnage. Préférant la poésie au psychologisme, la suggestion à l’analyse ou à l’explication, elle fait du plateau le lieu de toutes les contradictions. L’endroit où les grands courages côtoient la lâcheté, où la vie et la mort se regardent en face et imaginent des manières de se fréquenter. Avec chacun son mélange d’humanité et de cruauté, les quatre personnages apportent leur contribution au complexe paysage sentimental de la pièce. Tandis qu’une narratrice incarnée par Mathilde Le Borgne intervient régulièrement pour formuler ce qui ne peut l’être par les autres.
Cette présence aurait pu ajouter au trouble et à la poésie de la pièce ; faute de porter un verbe, un regard vraiment différent de celui des quatre protagonistes, elle a tendance à en parasiter les échanges. De même que l’intention manifeste de l’auteure de relier les parcours de ses deux couples par un même élément : l’eau, avec laquelle chacun entretient un rapport particulier, réel ou métaphorique. Trop peu développé pour nourrir profondément les récits croisés, ce motif détourne parfois l’écoute de l’essentiel : l’amour, le désir et la maladie, dont les chemins dans À l’infini du baiser ne sont jamais dénués de mystère ni d’ivresse.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
A l’infini du baiser
Ecriture : Frédérique Keddari-Devisme
Mise en scène : Frédérique Keddari-Devisme et Vincent Reverte
Avec : Olivia Dalric, Ali Esmili, Stéphane Hervé, Mathilde Le Borgne et Aude Léger
Musique originale : La Maison Tellier
Scénographie : Vincent Reverte
Lumière : Éric Pedini
Réalisation des décors : Nicolas Testas, Pelao Andres et Nicolas Javel
Chargée de production / diffusion : Julie R’Bibo
Presse : Catherine Guizard
Administration : Nuage Citron
Production Nuage Citron
Coproduction La Manekine, Scène Intermédiaire des Hauts-de-France (60) et la compagnie Le Tour du Cadran
Texte accompagné par le collectif A mots découverts. Edition Riveneuve/Archimbaud.
Durée : 1h30
Théâtre de Belleville
Du 5 au 28 janvier 2020
Théâtre El Duende – Ivry-sur-Seine
Automne 2020 (Dates à préciser)
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