Invité pour la troisième fois au festival d’automne, Marcelo Evelin chorégraphie une étonnante transe aussi bien extatique qu’exténuante dans A Invenção da Maldade, une pièce frénétique créée au Brésil et présentée au CND de Pantin.
Ils sont sept interprètes, Brésiliens ou Européens, occupant un seul et même espace partagé par les spectateurs, debouts ou assis, dans l’inconfort d’un plateau vide et de l’inévitable promiscuité des corps. L’assemblée prend place un peu hasardeusement et est parfois obligée de se mouvoir selon les déplacements aléatoires des danseurs qui tournent autour de quelques minces bûchers érigés à différents endroits. L’un d’eux sera élu comme le centre de gravité d’un rituel tout à fait étrange et stupéfiant, donnant lieu à un spectacle à la fois simple et grand, reposant sur une totale économie et pourtant plein de force et de vigueur.
Au centre du dispositif scénique et performatif : l’Homme, dans son plus simple appareil, renvoyant à la figure du sauvage, de l’indigène, primal et tribal, tel qu’il a été découvert lors des grandes conquêtes comme la découverte du Nouveau Monde ou fantasmé dans les récits et les peintures mythologiques. Il s’agit par l’intermédiaire d’une danse physique et particulièrement habitée, de situer l’individu dans un rapport au monde originel, en véritable osmose avec la nature. Dans une totale égalité, ils se présentent nus, pacifiques, innocents, totalement vaillants, quasiment invincibles. Conduits par une jeune femme de peau noire tenant au bout de ses doigts une simple brindille, ils se rassemblent autour d’un tas de bois prévu pour un feu, et dansent, ensemble et séparés, chacun pour soi mais conscient de la communauté qu’ils représentent, à l’image d’une tribu possédée en pleine incantation qui vrille au délire.
L’action se passe entre les murs bétonnés d’un sous-sol du Centre national de la danse à Pantin. Le contraste entre cet univers urbain, hypercontemporain et la dimension archaïque de ce qui se joue dedans est proprement stupéfiante. Cette relation antithétique est voulue par le chorégraphe lui-même qui a fait naître sa nouvelle pièce dans un entrepôt de Teresina qui sert de lieu de résidence rudimentaire à sa compagnie.
Suivant le principe d’une intense gradation, le rite prend de l’ampleur, gagne en puissance. La transe s’anime aux sons métalliques de clochettes perchées au dessus du plateau et de percussions denses et massives préenregistrées. Elle devient de plus en plus éloquente, véhémente. Les corps se meuvent d’une façon singulière et spectaculaire, assument une étrangeté, une certaine irrégularité, une inévitable brutalité, qui font toute la beauté de la proposition artistique. Peut-être y a-t-il une part d’improvisation ? La danse, qui est très physique et pas du tout narrative, parvient formidablement à produire des images, des visions, bien au-delà de la représentation métonymique de son sujet. La ronde éclate et se disperse, l’un d’entre eux joue de la musique sur des branchages et des rondins, certains se grimpent dessus avec animalité. L’ensemble devient secouant. Lassant un peu aussi car son développement plutôt invariant ne tient pas nécessairement la longueur. Mais l’expérience est singulière et fascinante car pleine d’une euphorique organicité et d’une brûlante beauté.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
A Invenção da Maldade
Concept et chorégraphie
Marcelo Evelin
Création et interprétation
Bruno Moreno, Elliot Dehaspe, Maja Grzeczka, Márcio Nonato, Matteo Bifulco, Rosângela Sulidade, Sho Takiguchi
Cloches en céramique
Yu Kanai
Création son et direction technique
Sho Takiguchi
Dramaturgie
Carolina Mendonça
Collaboration à la recherche en philosophie
Jonas Schnor
Collaboration
Christine Greiner, Loes Van der PligtProduction Marcelo Evelin/Demolition Incorporada, Materiais Diversos.
Coproduction HAU Hebbel am Ufer mit – Berlin, Künstlerhaus Mousonturm – Francfort-sur-le-Main, Kunstenfestivaldesarts – Bruxelles, Teatro Municipal do Porto, CN D Centre national de la danse, Festival d’Automne à Paris.
Coréalisation Festival d’Automne à Paris, CN D Centre national de la danse.
Avec le soutien de l’Adami.
Avec le soutien de Rumos Itaú Cultural 2017-2018 – São Paulo, de la MIME School – Academy of Theatre and Dance – Amsterdam, de Xing/Live Arts Week – Bologne.
Spectacle créé le 5.04.2019 au CAMPO arte contemporânea, Teresina. Durée 1h10CN D Centre national de la danse
15 > 18.10.19
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