Dans une étonnante performance reprise à Jeanine Durning, Inging, Simon Tanguy met la parole dans tous ses états.
Les performances sont trop rares à Avignon, comme dans le spectacle vivant en général. Parce que cette forme esthétique a souvent bien des qualités. Comme celles de nettoyer son sujet jusqu’à l’os, de ne pas s’encombrer des fioritures de la fiction, de désacraliser le spectacle et de revitaliser la relation entre l’artiste et le spectateur.
Inging est de celles-là. Son titre redouble le suffixe anglais « ing » signifiant « en train de ». Un « en train d’être en train de » éloquent parce que le spectacle permet d’assister à une parole au présent qui s’engendre elle-même. Performance créée à l’origine par Jeanine Durning, performeuse chorégraphe new-yorkaise, Inging fonctionne sur un principe simple : que le performeur ou la performeuse ne s’arrête pas de parler pendant 45 minutes. Simon Tanguy, qui a suivi l’enseignement de Jeanine Durning, est lui aussi danseur et performeur. Bouille sympathique et malicieuse, avec quelque chose de mélancolique dans le regard, il est assis à une table, devant son écran d’ordinateur et quelques livres, d’où il prend littéralement la parole avant, tout en continuant de parler, de traverser le public dans une chorégraphie dansée, où paraît s’exprimer la tension de son être traversé par les mots, suivant les trajectoires sinueuses et imprévisibles de sa pensée. Chaque jour, son flux verbal croise ainsi des rendez-vous, imagine-t-on, mais se nourrit aussi, bien sûr et avant tout, du présent.
Sorte de locomotive qui démarre tranquillement, s’échauffe, puis s’emballe, se nourrit de sa propre énergie jusqu’à devenir inarretable, en quête des voies de son épuisement, cette parole facétieuse, qui a tout au début d’une impro à la Edouard Baer, passe par l’actualité, la philosophie de Descartes, de Levinas. Elle réagit en même temps aux regards, aux attitudes des spectateurs installés sur la scène – assis sur leurs chaises disposées dans tous les sens -, puis saisit les pensées qui traversent incognito le fond de l’esprit, se cachant d’habitude pour ce qu’elles ont d’inavouable, toutes surprises de se retrouver mises en avant. Avant de s’épancher, au final, dans une sorte de transe d’où le sens se retire petit à petit, comme si cette parole devenait énergie pure, flux automatisé déconnecté de la raison.
Le public est saisi, ému parfois ; il rit, peut aussi être énervé. Chacun regarde les autres, si proches, en même temps que le performeur. Ensemble, les spectateurs cèdent aussi à la fatigue au fur et à mesure que le discours de lui-même s’exténue. Leur esprit est traversé par autant de micro-évènements qu’en charrie le flot de paroles de Simon Tanguy, de pensées qui poursuivent ses mots. Des pensées protéiformes que ont peut-être ce point commun : faire réfléchir sur ce qu’est au fond la parole, sur la relation qu’elle installe entre les êtres et ce qu’on en attend ordinairement. A la fin, Simon Tanguy se tait, il a mené sa performance jusqu’au bout. Comme du après-Mozart, ce silence reste alors du Simon Tanguy. Sa parole, dans une ultime métamorphose, se fait manque qui parle dans le silence.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Inging
Concept et chorégraphie Jeanine Durning
Adaptation et interprétation Simon Tanguy
Assistant Teilo TroncyProduction Propagande C
Coproduction Itinéraires Bis – Saint-Brieuc et CNDC Angers
Avec le soutien du Ministère de la Culture et de la communication DRAC Bretagne, Région Bretagne, Agglomération de Saint-Brieuc
Partenaires Le Triangle – Cité de la danse de Rennes et Le Collectif Danse Rennes Métropole
Cette série de représentation bénéficie du soutien financier de Spectacle Vivant en Bretagne.Durée : 45 minutes
Du 15 janv. 2021 au 20 janv. 2021
Micadanses, Paris dans le cadre de la saison du Théâtre de la Ville
23 mars 2021
L’Avant-scène, Cognac
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