Dans Outside, créé au Festival d’Avignon, l’enfant terrible du théâtre russe défie le sort et imagine sa rencontre avec le photographe chinois disparu, Ren Hang. Avec courage et brio, il se fait poète et esthète. Un choc.
Outside est le fruit d’une rencontre dramatiquement avortée. Kirill Serebrennikov et Ren Hang avait bien prévu de se voir pour évoquer la possibilité d’un projet de théâtre commun, mais le sort en a décidé autrement. Le 24 février 2017, 48 heures avant leur rendez-vous, le photographe chinois se jette par la fenêtre, et décède, tragiquement, à l’âge de 29 ans. Pour contrer ce coup du destin, le metteur en scène russe, sous le choc, choisit alors de lui rendre hommage et d’imaginer, malgré tout, le mélange de leurs deux univers. De cette ébauche, est né Outside, un bijou, qui a bien failli ne jamais voir le jour.
Car, entre-temps, Kirill Serebrennikov s’est attiré les foudres du régime poutinien. Directeur artistique du Centre Gogol, devenu sous sa houlette l’un des centres névralgiques de la culture contemporaine à Moscou, l’enfant terrible du théâtre russe est accusé, à l’été 2017, de détournements de fonds publics. Arrêté durant le tournage de son film Leto, l’artiste est assigné à résidence au mois d’août de la même année, sans internet, ni téléphone. Toujours sous le coup d’une procédure judiciaire kafkaïenne – que ses partisans décrivent comme un procès politique dépourvu de tout fondement – Kirill Serebrennikov a finalement vu son assignation levée, en avril dernier, et pu retrouver les plateaux de cinéma, et de théâtre, de la capitale russe qu’il a interdiction de quitter. Une expérience qui ne l’a pas empêché de créer, loin de là.
Au-delà de l’univers de Ren Hang, Outside est pétri de ce traumatisme. Alors que ses deux précédents spectacles – Les Idiots et Les Âmes mortes déjà créés au Festival d’Avignon en 2015 et 2016 – lui avaient collé l’étiquette d’un trublion, prêt à toutes les audaces scéniques et politiques, Serebrennikov se fait cette fois poète et esthète. Reclus derrière la vitre de son appartement, il se sert de sa rencontre imaginaire avec le photographe chinois pour s’évader et renouer avec l’extérieur. Entre leurs deux univers, l’entrelacement ne pouvait être que fécond, tant le parcours de ces deux artistes semblent, de part et d’autre du fleuve Amour, évoluer en parallèle. Comme Serebrennikov, Ren Hang a dû, lui aussi, faire face aux injonctions étatiques. Confronté à la pudibonderie du pouvoir chinois, il a vu certaines de ses photographies, faites de corps d’un sublime érotisme mâtiné d’humour, être censurées, alors qu’il ne s’agissait que de poésie.
Comme un pied de nez, le metteur en scène russe convoque leur esprit. Epaulé par une troupe de comédiennes et de comédiens, tous magnifiques tant théâtralement que physiquement, il importe l’art photographique sur la scène et recompose les shooting photo de Ren Hang. Au rythme de l’envoûtante musique d’Ilya Demutsky, le plateau se transforme en une galerie de tableaux, où les ombres du photographe américain Robert Mapplethorpe et du chorégraphe Rudolf Noureev ne cessent de s’inviter. Nue en quasi-permanence, la troupe, à la gestuelle chorégraphique subtile, atteint des sommets d’érotisme et de sensualité, sans jamais être vulgaire. A la provocation, Serebrennikov a préféré l’esthétisme et échafaude une composition qui subjugue en tous points.
A cette collection d’images, se superposent les mots de Ren Hang qui, en plus d’être photographe, était un poète du quotidien. Y transparait toute l’ambivalence d’un artiste qui, avec des mots simples, exprime les paradoxes tumultueux de son for intérieur. En dépression constante, il y célèbre la jeunesse, la beauté, la poésie, le sexe, l’amour, la solitude, les relations avec la ville, et le goût prononcé pour la liberté. Une somme de points communs que Serebrennikov n’a pas manqué de reprendre à son compte pour éclairer, avec courage, son propre vécu. Inauguré par une perquisition musclée du FSB dans l’appartement de l’artiste, Outside se conclut par une ode à la liberté d’expression qui, aussi corsetée soit-elle, en Chine comme en Russie, peut encore s’exprimer dans l’art. Avec son théâtre de combat, Serebrennikov en a apporté la preuve, de la plus belle, sensible et intense des manières.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Outside
Mise en scène, scénographie, dramaturgie Kirill Serebrennikov
Avec Odin Lund Biron, Alexey Bychkov, Yang Ge, Gueorgui Koudrenko, Nikita Kukushkin, Julia Loboda, Daniil Orlov, Andrey Petrouchenkov, Andrey Poliakov, Evgeny Romantsov, Anastassia Radkova, Evgeny Sangadzhiev, Igor Sharoïko
Chorégraphie Ivan Estegneev, Evgeny Kulagin
Musique Ilya Demutsky
Costumes Tatiana Dolmatovskaya
Lumière Serguey Koucher
Assistanat à la mise en scène Anna ShalashovaProduction Inna Solodkova et Yaroslava Ziva-Chernova – Gogol Center, Natalia Andronova, Sofia Kapkova et Elizaveta Rozova – M.ART (Modern Artlife Foundation)
Coproduction Festival d’Avignon
Avec le soutien du Gogol Center, Onda – Office national de diffusion artistique
En partenariat avec France Médias MondeDurée : 1h45
Festival d’Avignon 2019
L’Autre Scène du Grand Avignon – Vedène
16 17 | 19 20 21 22 23 juillet à 15h
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