Né d’une collaboration entre la compagnie de marionnettes sud-africaine Handspring Puppet Compagny et les Allemands de la Puppentheater Halle, Save the Pedestals est une déambulation à travers Johannesburg. Une errance dont la metteure en scène et chorégraphe Robyn Orlin n’a pas su mettre en forme la confusion.
Ça remue. Tandis que deux comédiens sont suspendus par leur combinaison à un porte-manteau géant, un objet vertical recouvert d’un tissu scintillant commence à se gondoler, à gigoter jusqu’à ce qu’en sorte une marionnette géante. Un pantin à la grosse tête recouverte d’un chapeau à fleur, un œil grand ouvert et l’autre à demi fermé comme pour un clin d’œil. C’est donc sur une étrange naissance que s’ouvre Save the Pedestals, créé à l’occasion de la 10ème édition de la Biennale Internationale des Arts de la Marionnette (3-29 mai 2019). Sur une inversion des rapports habituels entre le vivant et l’inerte, qui introduit une errance à travers Johannesburg, la plus grande métropole d’Afrique du Sud, adaptée d’une nouvelle inédite de l’écrivain sud-africain Ivan Vladislavic.
Manipulé de l’intérieur par un artiste de la compagnie sud-africaine Handspring Puppet Compagny, le grand bonhomme aux membres métalliques ne tarde pas à s’approcher des deux artistes suspendus de la Puppentheater Halle. Ce qui déclenche la logorrhée de l’un des deux, qui se présente comme étant marionnettiste, et commence à monologuer sur l’invisibilité des artistes de sa discipline. La rencontre qui a donné lieu à la création est ainsi très tôt mise en scène. Si bien qu’on s’attend à ce qu’elle soit développée, interrogée. De même que le rôle de la metteure en scène et chorégraphe sud-africaine, dont la marionnettiste bavarde dit un mot avant de reprendre sa complainte sur l’absence de stars dans le domaine de la marionnette. Fausse piste.
Après avoir mis un sabot – les marionnettes de Save the Pedestals sont lourdement chaussées – dans cette direction réflexive, autocritique, c’est en effet dans un tout autre chemin que s’embarque le collectif germano-africain. Une fois les deux interprètes descendus de leur porte-manteau et un second pantin géant sorti de sous la tenture dorée, commence le récit mis en actes d’une traversée de Johannesburg, durant laquelle la collaboration entre artistes sud-africains et allemands n’est plus abordée. Ce qui n’aurait pas posé de problème si l’aventure contée alors avait à sa manière pris le relais de l’introduction basée sur les principes de la distanciation. Ou même si, au contraire, elle nous avait emportés loin, dans de captivants rebondissements.
Avec leur manipulateur intégré et des comédiens marionnettistes d’appoint, les deux grands pantins surnommées « Comrade A » et « Ma Z » – « deux sobriquets révélateurs, reflets tant de leurs convictions politiques que de leur origine ethnique », lit-on sur le communiqué de presse du spectacle – sont les héros d’une traversée de Johannesburg qui fait penser à celle de Leopold Blum et Stephen Dedalus dans Ulysse de James Joyce. La qualité d’écriture et de réflexion en moins. Trop distendu, le fil rouge dont l’aphorisme du poète polonais Stanislaw Lec (1909-1966) selon lequel « Si vous détruisez les monuments, sauvez les piédestaux. On en aura toujours l’usage » était censé faire office donne lieu à une vague réflexion sur l’époque. Sur la disparition des grandes utopies, la victoire du capitalisme et de la consommation. Sur les traces laissées par l’apartheid et les diverses colonisations, mais aussi par le communisme soviétique et divers autres épisodes historiques. À trop vouloir embrasser de sujets, ces rêveries de deux promeneurs presque solitaires se perdent en un labyrinthe d’idées reçues.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Save the Pedestals
Création dans le cadre de la BIAM (Biennale internationale des arts de la marionnette)
Mise en scène, chorégraphie : Robyn Orlin (Afrique du Sud/Berlin)
Scénographie, costumes, marionnettes : Adrian Kohler (Afrique du Sud)
Dramaturgie, élaboration de la pièce : Basil Jones (Afrique du Sud)
Dramaturgie, élaboration de la pièce : Francesca Spinazzi/Andreas Hillger (Allemagne)
Construction des marionnettes : Handspring Puppet Company (Afrique du Sud)
Coordination : Torsten Maß (Allemagne)
Marionnettistes : Mmakgosi Kgabi, Lambert Mousseka Ntumba, Nico Parisius, Franziska Rattay, Ivana Sajevic
Production : Puppentheater Halle
Coproduction : Handspring Puppet Company Cape Town, Baxter Theatre Centre Cape Town.
Avec le soutien de Kulturstiftung des Bundes
Durée : 1h15Maison des Arts de Créteil
Du 23 au 25 mai 2019
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !