C’est au Théâtre de l’Union à Limoges que Jean Lambert-wild et Lorenzo Malaguerra ont créé la saison dernière Don Juan ou le Festin de pierre, une adaptation libre de la célèbre pièce de Molière mais aussi et surtout « une lecture des mille et une versions littéraires, théâtrales et fantasques du mythe de Don Juan ». Désormais célèbre sous le titre abrégé de Don Juan, la comédie en cinq actes représentée pour la première fois le 15 février 1665 était alors connue du public parisien sous le titre Le Festin de pierre. Qu’est-t-il donc arrivé au titre original ?
S’il est de notoriété publique que Molière écrit Don Juan en s’inspirant de Tirso de Molina et de sa comédie El Burlador de Sevilla y comvidado de piedra (dont la légende du débauché chassé par la statue de celui qu’il a tué est fréquemment reprise par la commedia dell’arte) l’histoire qui se cache derrière le titre de la comédie est plus méconnue. Au départ, la légende de Don Juan se fait vraisemblablement connaître en France dès 1658 avec Le Festin de Pierre ou le Fils criminel, une tragicomédie écrite par Dorimond à partir d’une version italienne, Il Convitato di pietra, ce dernier fait d’ailleurs un contresens dans sa traduction de Conviatato qui voudrait dire convive autant que festin. Presqu’aussitôt, Villiers adapte à son tour la pièce en gardant le même titre et sous-titre que Dorimond, qu’il dédie alors à Corneille.
Ainsi, lorsqu’en 1665 Molière crée Le Festin de Pierre, le thème est déjà connu et le choix du titre fait suite aux adaptations précédentes. Pourtant, Molière préfère le sous-titre L’Athée foudroyé à l’ancien Le Fils criminel. Chez Molière, Don Juan ne tue pas son père et c’est en 1677, alors que le dramaturge est mort depuis quatre ans que le titre est changé. En 1677, Corneille s’empare de la pièce de Molière qu’il met d’ailleurs à l’affiche sous le nom de ce dernier mais il en réécrit les passages les plus immoraux et choquants. Selon ses propres mots, il adoucit certaines expressions, or Le Festin de pierre est toujours jouée au moment de l’édition posthume des œuvres de Molière.
Pour éviter toute confusion avec la réécriture de Corneille, les éditeurs font donc le choix de renommer la pièce et de l’intituler Don Juan. Dans le texte, le festin renvoie toujours à l’acte V, scènes 4 à 6, au moment où la Statue du Commandeur convie Don Juan à un souper qui marque la fin de ses crimes, l’âme du débauché finit brûlée. Ainsi, c’est la polémique autour du traitement du mythe de Don Juan par Molière qui aura donné lieu à toutes ces modifications. Aujourd’hui, c’est précisément le potentiel fantasque et transgressif de la pièce qui pousse Jean Lambert-Wild et Lorenzo Malaguerra à monter une version débridée de Don Juan ou Le Festin de pierre. Après quatre siècles, une question demeure : la pièce a-t-elle encore de quoi choquer ?
Hadrien Volle – www.sceneweb.fr
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