Au Théâtre de la Colline, la metteuse en scène fait l’expérience du « penser-ensemble » et accouche d’un spectacle qui, malgré ses quelques fragilités textuelles, déborde d’humanité.
Apprendre à apprendre, apprendre à penser. L’objectif est aussi beau dans son principe que périlleux dans sa réalisation. Esther, Fantine, Georges, Shali et Martin ne sont pas des intellectuels autorisés, des experts de la pensée, créée pour mieux être transmise. Ils sont factrice, mécanicienne, « jardinière », baby-sitter et veilleur de nuit. Dans ce centre social du XXe arrondissement de Paris où ils viennent pour des raisons aussi diverses qu’inconnues, ils se croisent sans se connaître, s’aperçoivent, sans doute, sans trop se parler. Jusqu’au jour où Fantine et Georges décident de créer « un atelier pour s’instruire, pour apprendre ». Un atelier sans animateur pour leur dire quoi faire et quoi penser, une sorte d’école buissonnière autogérée. Chaque jeudi à 20h30 en salle Allende, ces cinq apprentis du savoir s’y retrouvent.
A tâtons, ils construisent une manière de faire, forcément empirique et expérimentale. Ils s’accordent sur un fil rouge, le cinéma, qui leur servira de base. Chaque jeudi, ils regarderont un film et chaque jeudi, ils en débattront, sur la forme ou sur le fond. A la lumières des chefs d’oeuvre de Visconti ou de Patricio Guzmán, ils réalisent un rêve, intime et inconscient, celui d’échapper, le temps d’un soir, à cette condition sociale qui les a enfermés dans une case. En même temps qu’à eux-mêmes, ils prouvent aux autres qu’ils sont, eux aussi, capables de créer de la pensée, d’être acteurs d’un « penser-ensemble » grâce à la magie du collectif.
De cette aventure, touchante d’humanité, Isabelle Lafon a choisi de montrer des bribes, des scènes, qui s’affranchissent de l’espace et du temps. Sur le plateau nu du Petit Théâtre de La Colline, entouré par un gradin en tri-frontal, elle esquisse des allers-retours temporels et projette, par les seuls mots, des lieux, transporte en un tour de phrase ses personnages du centre social vers leur appartement, de la collectivité à la solitude. Tous présents en continu, ils se retrouvent parfois seul, à deux, à trois ou à cinq, en fonction du cadrage théâtral, et de la largeur du champ et du hors-champ. D’eux, on connait, et connaîtra, peu de choses, et pourtant, à eux, on s’attache, comme attiré par cette fragilité, matinée d’humilité et d’envie.
A l’image de ses personnages qui apprennent à apprendre en marchant, Isabelle Lafon a choisi, pour la première fois, de naviguer à vue. Avec l’aide de ses comédiens, elle a construit son spectacle au fur et à mesure d’improvisations au plateau qu’elle a retranscrites puis retravaillées. Le rendu final rend compte de ce processus créatif. Comme un film dont on verrait les raccords de montage, le texte est empli de coutures et de fausses coutures qui révèlent ses quelques faiblesses, et donnent parfois l’impression qu’il erre sans but précis et ne sait pas quelle voie emprunter. Porté par l’interprétation tout en délicatesse et en sensibilité de l’ensemble de la troupe – et au premier chef d’Isabelle Lafon, poignante Fantine – qui rend ces imperfections presque désirables, le projet s’impose pourtant comme un beau moment de théâtre, aux fêlures humaines, trop humaines. De ceux qui provoquent de larges sourires sur les lèvres.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Vues Lumière
Concept et mise en scène Isabelle Lafon
Ecriture collective et interprétation Karyll Elgrichi, Pierre‑Félix Gravière, Johanna Korthals Altes, Isabelle Lafon et Judith Périllat
Assistante à la mise en scène Marion Canelas
Assistante stagiaire Ariane Laget
Lumières Marion Hewlett
Costumes Nelly GeyresProduction Compagnie Les Merveilleuses
Coproduction La Colline – théâtre national, MC2: Grenoble – Scène nationale avec le soutien de la Région Ile-de-France
La compagnie Les Merveilleuses est conventionnée par le ministère de la Culture (DRAC Ile-de-France).Durée : 1h30
Théâtre de la Colline, Paris
du 10 mai au 5 juin 2019
Eh oui, comme vous l’écrivez, Isabelle Lafon navigue à vue !!!! La 1è heure, malgré quelques faiblesses, se laisse regarder avec plaisir. Les 3/4 d’heure suivants s’étirent à n’en plus finir et ce ne sont que ressassements monotones (pour l’une des actrices, qui n’en est pas vraiment une), manque de rythme. Bref, un ennui insupportable nous saisit et la sortie fut une libération, un ouf de soulagement que ce soit enfin terminé !!!