Amnesia est texte prémonitoire puisque le personnage central de la pièce est BEN ALI acculé à quitter le pouvoir….Dans ce spectacle Fadhel Jaïbi et sa compagne, l’auteur et comédienne Jalila Baccar se penchent sur la liberté individuelle confrontée au poids du pouvoir collectif. Treize acteurs partagent leur engagement dans une scénographie rigoureuse et élégante en noir et blanc. Ils auscultent les blessures de la société tunisienne et le déchirement des consciences. Aujourd’hui ils souhaitent rester indépendants en Tunisie. Jalila Baccar s’est vue proposer le poste de Ministre de la Culture, elle a refusé pour continuer son travail d’artiste.
Rencontre avec Fadhel Jaïbi
Vous étiez prudent quelques jours après la révolution en janvier, dans quel état d’esprit êtes vous quelques mois après ?
Ma réserve je le crains est confirmée. L’espace sécuritaire et politique laissé vacant permet aux islamistes et radicaux d’exister, et je me méfie des islamistes non radicaux. Il y a des exactions absolument terribles qui mettent en péril les faibles acquis de l’après Ben Ali. Il est hors de question que l’ayant chassé par la porte une autre dictature revienne par la fenêtre et qu’il fracasse cette porte et rentre péremptoirement. C’est inimaginable. Nous avons été agressés dans notre salle de cinéma parce qu’on voulait projeter le film « Ni Allah, ni maître ». Un film qui n’a rien à voir avec le sujet, mais c’est le choix de l’auteur. Le choix d’un auteur est souverain et indiscutable. C’est aussi sacré que la parole de Dieu. On agresse maintenant des artistes dans leurs espaces, on leur casse la figure. Nous n’avons que notre parole, nos arguments, eux ils ont des armes. J’espère que la loi après la Constituante nous protégera en attendant nous vivons un des pires moments de la transition. Ben Ali interdisait des spectacles, les salafistes cassent la gueule aux créateurs, aux danseurs, aux artistes, aux comédiens. Ils menacent même le public sur les plages. Le cauchemar de l’Algérie, de l’Egypte, des pays du Golfe, nous n’en voulons pas comme modèle, nous sommes un pays résolument moderniste. Nous voulons avancer, nous ne voulons pas régresser.
Donc c’est une démocratie qui sera fragile et longue à construire.
Ca on le savait. Il n’y a que les gogos ou les âmes naïves et les inexpérimentés qui ne le savaient pas. Ayant connu les affres des régimes totalitaires, nous savions que c’est fragile pour tout le monde, d’apprendre à s’écouter, d’apprendre ses droits et ses devoirs, de conquérir ces espaces citoyens. Et il n’y a que par la culture et par l’éducation que nous pourront avancer. Sans cela on est foutu.
Et dans cette démocratie il y a toujours de la place pour que les artistes fassent entendre leur voix.
Les artistes qui ont été en amont de cette révolution, la société civile, les éducateurs et tous ceux qui ont une idée pluraliste, égalitaire et fraternelle de la Tunisie vont continuer à se battre pour que les islamistes trouvent leur place dans ce paysage politique national. Nous ne sommes pas contre leur présence, nous sommes contre tout ce qui est radical et qui mélange Etat et religion.
Votre spectacle Amnésia continue sa carrière, mais vous ne pouvez pas encore le montrer partout, notamment dans le Moyen-Orient.
C’est vrai, la tournée a été compromise pour fait de soulèvement populaire. Ce sacrifice en valait bien le coup. C’est dommage. On voulait porter cette parole comme on a exporté notre révolution, on voulait exporter un discours artistique qui exister du temps de Ben Ali et qui critiquait la dictature. On aurait aimé promener cette proposition à travers le monde arabe qui en a besoin. Cela ne s’est pas fait, ce n’est que partie remise.
La suite de votre travail continuera de parler de la Tunisie et de la révolution ?
Nous avons déjà entamé avec Jalila Baccar un atelier d’écriture qui fait suite à un stage que j’ai dirigé il y a deux mois avec de jeunes comédiens. Ils étaient en première ligne en janvier. Alors ce que le corps a pu faire, comment il a pu exulter, est l’objet de notre recherche, en plus de la parole reconquise avec sa confiscation. Nous essayons d’en faire une matière théâtrale.
Êtes-vous heureux de revenir au Festival d’Avignon ?
Très heureux. Avignon m’inspire cette phrase de Jean Vilar que je n’ai jamais connu, « c’est un théâtre élitaire pour tous ». Cet homme a fait bouger les consciences grâce à un acte citoyen, je trouve cela admirable. Je suis très ému à chaque fois que je viens.
Propos recueillis par Stéphane CAPRON
Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
Amnesia mise en scène fadhel jaïbi
Scénario, dramaturgie et texte jalila baccar et fadhel jaïbi
avec Jalila Baccar, Fatma Ben Saîdane, Sabah Bouzouita, Ramzi Azaiez, Moez M’rabet, Lobna M’lika, Basma El Euchi, Karim El Kefi, Riadh El Hamdi, Khaled Bouzid, Mohammed Ali Kalaî
assistante mise en scène et régie son Narjes Ben Ammar / régie lumières Naîm Zaghab /régie costumes Jalila Madani / régie production Nozha Ben Mohammed / directeur
production Habib Bel Hedidu – durée 1h45
en arabe surtitré français
Production Familia Productions, Bonlieu Scène nationale Annecy Théâtre National de Bordeaux en
Aquitaine, Théâtre de l’Union – Centre dramatique national du Limousin,
Théâtre de l’Agora – scène nationale d’Evry et de l’Essonne L’I.FC Tunis
Avec le soutien du Ministère de la Culture et de la Sauvegarde du Patrimoine de Tunisie
Toute notre reconnaissance et notre amitié à Sihem Belkhodja, l’équipe de Ness El Fen et l’équipe de l’espace Le Mondial à Tunis
FESTIVAL AVIGNON 2011
SALLE DE MONTFAVET
spectacle en arabe surtitré en français
15 À 22H / 16 17 À 17H ET 22H
Les 21 et 22 octobre à Lyon au Théâtre des Célestins dans le cadre du Festival Sens Interdit
Le 26 octobre au Piccolo Teatro de Milan
Le 23 novembre 2011 à Valenciennes au Phenix
Les 29 et 30 novembre au Festival Meeting Point de Bruxelles
Le 10 et 11 janvier 2012 à la Maison de la Culture d’Amiens
Le 17 février 2012 à Draguignan – Théâtres en Dracénie
Le 23 février 2012 à Gap à la Passerelle
Le 28 février 2012 à La Roche sur Yon – Le Grand R
Le 1er mars 2012 à Vannes – Théâtre Anne Bretagne
Les 7 et 8 mars 2012 au Festival Meeting Point à Athènes
Le 27 mars 2012 à Cavaillon à la Scène Nationale
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