Contre l’injonction ambiante à la « rencontre interculturelle », Henri Jules Julien invente Mahmoud et Nini. Un dialogue entrecoupé de rires, où le préjugé est poussé jusqu’à l’absurde. Après Le Tarmac, cette pièce est à découvrir au Festival d’Avignon.
Mahmoud et Nini est le genre de pièce qui suscite des questions indiscrètes. « Est-ce que vous êtes gay ? », demande en effet au performeur Mahmoud Haddad un élève venu avec sa classe voir la pièce au Tarmac. À quoi l’artiste répond que d’un commun accord, le metteur en scène Henri Jules Julien, sa partenaire de jeu Virginie Gabriel et lui-même ont décidé de ne rien dire qui puisse éclairer les liens entre réel et fiction dans le spectacle. Que son personnage, comme celui de Virginie, est sur certains plans tout à fait identique à l’interprète, mais qu’il s’en éloigne à d’autres endroits. Grâce à cette ambiguïté, ainsi qu’à un jeu subtil avec les codes du théâtre naturaliste, Henri Jules Julien et les deux comédiens parviennent à élever au-delà des lieux communs leur spectacle sur les préjugés qui pèsent sur les relations entre la France et le monde arabe.
Assis face au public, à deux mètres environ l’un de l’autre, Mahmoud Haddad et Virginie Gabriel installent d’emblée un climat étrange. Artificiel. Sans s’adresser un regard, comme concentrés sur un objet lointain, ils entament des présentations qui laissent planer un doute sur les circonstances de leur rencontre. Est-elle le fruit du hasard ? A-t-elle été organisée, et si oui, par qui et dans quel but ? Encore des questions auxquelles Mahmoud et Nini ne répondra pas. Et encore une fois, c’est très bien. Détachés de tout contexte, les clichés qu’échangent les deux acteurs sur leurs pays respectifs – l’Égypte pour l’un, la France pour l’autre – apparaissent dans toute leur violence. Ils révèlent aussi l’absurdité d’une mode : l’« idéologie molle de la « rencontre interculturelle » », selon les termes de Henri Jules Julien.
Ponctuée de silences et d’éclats de rire impromptus, Mahmoud et Nini interroge non seulement le poids des stéréotypes orientalistes, mais aussi la relation que les mots entretiennent avec le réel. Affichée en direct sur un écran placé entre les deux comédiens, la traduction en arabe ou en français des répliques de chacun met en effet la question du langage au centre du plateau. Lorsque Virginie questionne Mahmoud sur la condition des femmes égyptiennes et sur l’islam, sans écouter ses réponses, on suspecte ainsi toujours un écart entre ses paroles et sa pensée. De même pour Mahmoud qui, après avoir subi l’interrogatoire et les clichés de sa voisine, se lance dans une attaque tissée des préjugés égyptiens envers les Occidentaux. Avec une insistance particulière sur le cas des Françaises à coupe garçonne.
Au fil du dialogue, les deux personnages paraissent à plusieurs reprises sur le point de faire tomber leurs masques. Au milieu d’un tas de généralités, ils se lancent parfois dans une anecdote personnelle. Ils osent un sourire, une danse qui semble annoncer le début d’un rapport nouveau. D’une conversation basée sur l’être et non plus sur des idées préalables. Mais à chaque fois, l’ombre de l’auteur apparaît. En questionnant la liberté des personnages par rapport au texte qui leur est imposé, Mahmoud et Nini se fait pirandellien. Henri Jules Julien, qui a longtemps vécu en Égypte, interroge ainsi subtilement la place et la légitimité de celui qui écrit, son rôle dans la résolution des conflits.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Mahmoud et Nini
Texte et mise en scène Henri Jules Julien
Avec Virginie Gabriel et Mahmoud Haddad
Dramaturgie Youness Anzane et Sophie Bessis
Traductions Mahmoud Haddad, Mireille Mikhail, Criss NiangounaProduction Haraka Baraka, avec l’aide à la création de la DRAC Île de France et d’ARCADI
Co-production Le Tarmac – Paris, Centre de culture ABC – La Chaux-de-Fonds
Avec l’aide de Théâtre Athénor – Saint-Nazaire et le soutien de l’Institut Français du CaireDurée : 1 heure
Théâtre de la Commune à Aubervilliers
Du 26 au 30 mai 2021
MER & VEN À 19H, JEU À 14H30, SAM À 18H, DIM À 16H
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