Empreint de douceur, Le doux, le caché, le ravissement conjugue dans une forme contemplative et immersive les disciplines pour inviter à la découverte des sens de la main.
On n’appréhende pas un spectacle s’intéressant aux mains comme n’importe quel autre. Il importe d’abord de palper, toucher, frôler, effleurer, caresser, appuyer. Ainsi, les spectateurs conviés au Cloître de la Collégiale pour découvrir Le doux, le caché, le ravissement commencent, après avoir franchi l’enceinte du lieu, à déambuler dans la galerie. Celle-ci accueille plusieurs installations interactives, qu’ils sont invités à expérimenter. Creux des mains – Étude n°5, Quatuor pour méta touche – à jouer délicatement avec paumes ; Main Pacifique – Étude n°6, Quatuor pour méta touche – à jouer avec tous les doigts de quatre mains ; Index moustaches – Étude n°2, Quatuor pour méta touche – à jouer avec les index de quatre mains, etc. indiquent les cartels.
Dans ces intitulés s’énonce déjà l’alliance entre différents champs et univers, de la poésie aux nouvelles technologies, de la composition musicale à l’expérimentation tactile. Ce n’est qu’une fois découvert ces dispositifs intrigants, mêlant création sonore et visuelle à partir d’un usage tactile, que le spectacle, fruit de la rencontre entre le marionnettiste-manipulateur Jean-Louis Heckel et le musicien Serge de Laubier, débute. Guidés par le comédien et manipulateur Cyrille Bosc, les spectateurs prennent place sur des transats disposés de part et d’autre d’une allée. Au-dessus d’eux, deux voiles tendues permettent la projection d’images conçues en direct, tandis qu’un dispositif de spatialisation sonore accentue encore l’immersion.
Cyrille Bosc évoque d’abord les grottes de Gargas dans les Hautes-Pyrénées, où des hommes ont, 29000 ans avant notre ère, déposé l’empreinte de leurs mains. Répondant à ce geste ancestral, « proposition abstraite et savante », Le doux, le caché, le ravissement va à sa manière égrener les multiples visages de la main. De sa description minutieuse aux multiples expressions dont elle est l’objet (un coup de main, fait main, mettre sa main au feu, etc.) ; de ce qu’elle révèle à ce qu’elle dissimule ; de la « main invisible » du marché, qui selon l’économiste Adam Smith guiderait chaque homme cherchant son intérêt personnel à concourir à l’intérêt général ; à « l’appel à témoins/tes mains », un dispositif donnant la parole aux mains de spectateurs, les séquences se succèdent. Face à ce Monsieur Loyal situé à un bout de l’allée et à la voix grave, chaude et enveloppante se tient de l’autre Serge de Laubier. Le compositeur, chercheur et musicien joue, lui, de son « méta-instrument », un instrument numérique de quatre-vingt touches ultrasensibles lui permettant de créer, en live, images et sons.
Dans cette expérience immersive entremêlant nouvelles technologies et travail sur l’oralité proche du conte, les références se croisent, de Jean-Sébastien Bach à Jean Sibelius, de Louise Michel à Arthur Rimbaud. Parfois certaines images ou figures peuvent apparaître un brin désuètes, d’autres pas encore totalement abouties, d’aucunes plus convenues (telles l’évocation des mains de figures célèbres). Mais ce ne sont que de légères faiblesses en regard de l’inventivité et de la liberté de ce projet. Car en croisant ainsi leurs champs disciplinaires (marionnettes et théâtre d’objets pour Jean-Louis Heckel, arts numériques et musiques visuelles pour Serge de Laubier) Heckel et de Laubier ouvrent un territoire à l’imaginaire. Et si Le doux, le caché, le ravissement se présente comme un spectacle « augmenté » par l’usage de nouvelles technologies interactives et immersives, il l’est également par sa capacité à offrir une échappée poétique et contemplative, empreinte d’une infinie délicatesse.
Caroline Chatelet – www.sceneweb.fr
Le doux, le caché, le ravissement
Compagnie La Nef – Puce Muse
Direction artistique, conception musicale, méta-Instrument Serge de Laubier
Mise en scène Jean-Louis Heckel
Texte et conception dramaturgique Jean-Louis Heckel, Serge de Laubier et Catherine Hospitel
Jeu Cyrille Bosc
Scénographie Catherine Hospitel
Lumière Philippe SazeratProduction Puce Muse et La Nef – Manufacture d’utopies
Soutien DRAC Île de France, SPEDIDAM, SACEM, ECM Le ChaplinDurée : 1 heure
Festival Villeneuve en scène, Cloître de la Collégiale
du 9 au 21 juillet 2019 à 22h – Relâche les 14, 15, 16
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