Sur la scène de la Colline, se déploie l’univers singulier et captivant de Kafka sur le rivage, l’Odyssée contemporaine de Haruki Murakami dans la mise en scène spectaculaire mais un peu trop littérale de Yukio Ninagawa disparu en 2016.
Sur le vaste plateau plongé dans un crépuscule onirique, d’imposantes cages de verre éclairées aux néons et manipulées par des techniciens forment un ballet tourbillonnant. Dans cet espace labyrinthique, chacune représente un des nombreux lieux principaux du célèbre roman : la bibliothèque ou la forêt dans lesquelles trouve refuge le héros principal, le quartier chaud des prostituées et ses hôtels borgnes, un restoroute, le cul d’un camion de transport long-courrier… autant d’étapes d’un voyage sans fin. Car tout est itinérance et initiation dans la double quête que propose l’auteur japonais. Le mouvement perpétuel qui embrasse le plateau renvoie à celui d’une ville grouillante où les bruits de circulations résonnent sur les nappes sonores évanescentes des chansons de Sigur Ros. Car le monde dans lequel on suit les destins inévitablement liés de Kafka Tamura, un jeune garçon parti à la découverte de lui-même pour échapper à une terrible prophétie, et celui du vieux et intriguant Nakata, est aussi bien emprunt de fureur que de douceur, de beauté, de crudité, de sensualité, et ce jusqu’à l’envoûtement.
Le très prolifique Yukio Ninagawa a monté des tragédies grecques, des pièces de Shakespeare, de Brecht, Tchekhov, Ibsen… Du grand théâtre. Il confère un aspect classique et tout à fait spectaculaire à son adaptation théâtrale du roman de Murakami conçue comme une grande fresque épique, imaginative et poétique. Les dimensions de sa mise en scène sont larges et généreuses mais ne renoncent pas pour autant à l’intimité de l’oeuvre. Le travail est malin, plein de trouvailles et d’habileté, il se veut aussi presque trop exhaustif et finalement un peu trop illustratif. Sont retracés les épisodes les plus insolites, les rencontres les plus déterminantes du fabuleux livre peuplés de figures fascinantes comme les chats qui parlent et les poissons qui tombent du ciel. Les tableaux défilent à la manière d’un diorama haut en couleur et fort en tension dramatique, parfois non sans lourdeurs. Ils rendent comptent de la légèreté comme de la profondeur du récit qui mêle dérision et métaphysique.
Cela donne un grand et beau spectacle déjà présenté sur les scènes du Barbican à Londres et du Lincoln Center de New York. Au cœur de cette grosse production, rayonne l’intelligence sensible des interprètes jonglant avec des codes de jeu et des registres très différents. En tête d’une vingtaine de comédiens issus de la Ninagawa Company, Nino Furuhata à fleur de peau, allure très adolescente et fraîcheur remarquable, Shinobu Terajima d’une formidable justesse dans le rôle de Miss Saeki, Katsumi kiba ou Tsutomu Takahashi suscitent une vibrante émotion.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Kafka sur le rivage
d’après Haruki Murakami
mise en scène Yukio Ninagawa
spectacle en japonais surtitré en français
production
HoriPro Inc., Tokyo Broadcasting System Television, Inc.
en collaboration avec Shinchosha Publishing Co. Ltd.
coréalisation Fondation du Japon, La Colline – théâtre national
avec le concours d’All Nippon Airways. Co. Ltd.
Spectacle présenté dans le cadre de Japonismes 2018Durée : 3 heures (avec entracte)
La Colline
du 15 au 23 février 2019 au Grand Théâtre
du mardi au samedi à 19h30 et le dimanche à 15h30
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