Le jeune metteur en scène Benjamin Porée propose, à Sceaux, une revisite très personnelle d’Hamlet de Shakespeare avec Matthieu Dessertine dans le rôle-titre. Il nous faut arracher la joie aux jours qui filent imagine une réécriture contemporaine, oscillant entre chronique politique trash et quête spirituelle, qui fait plonger le spectacle long de trois heures dans un épais mysticisme.
Hamlet a connu bien des interprétations. Les plus grands acteurs et metteurs en scène se sont risqués au plus passionnant, car insaisissable, des personnages shakespeariens. Benjamin Porée et son comédien se sont donnés la liberté d’inventer, d’extrapoler, autour de cette figure légendaire.
A priori leur Hamlet ne se départit pas d’une longue tradition romantique. Il apparaît beau garçon, rêveur et tourmenté, le regard ombrageux, l’esprit dérangé, sous les traits de Matthieu Dessertine apprêté en costume noir et chemise blanche, promenant toujours avec lui un sac de sport rappelant son éternel désir d’évasion. Cet Hamlet se caractérise aussi par une tendance suicidaire exacerbée et une dépression qui se profile au point de le voir interné dans un hôpital psychiatrique. A cela s’ajoutent un Laërte représenté en mauvais fils à papa tombé dans la drogue et envoyé en cure de désintoxication, une Ophélie rebelle et enceinte du garçon qui lui est interdit, une Gertrude qui somme Claudius de la « baise[r] comme une catin », tout cela dans une ambiance dance floor et cocaïne…
On imaginait, du coup, assister à un spectacle « rock’n roll ». Ces attentes n’ont pas été totalement comblées. Car, en dépit d’une réécriture distanciée et assez triviale, le spectacle se montre bien sage et bien raisonnable. C’est d’ailleurs un peu ce qui est continuellement reprochable au travail de Benjamin Porée qui ne manque pourtant pas d’ambition.
D’une mélancolie qui voisine avec la névrose, Hamlet gémit, pleurniche et vocifère continuellement, dans la joie comme dans la peine qui sont ici inextricablement liées. Ainsi, la pièce s’ouvre sur un très gros plan sur le visage de l’acteur qui l’interprète envahi d’eau ou de pleurs, tandis qu’à de nombreuses reprises, de grosses et chaudes larmes s’échappent de ses yeux. Père en devenir, Hamlet subit son existence comme un sacrifice. Il se décrit comme empêché de vivre par la mort de son père assassiné. Il en arrive au point de renier son père naturel et de chercher un père spirituel. Alors, agenouillé entre les cierges fumants et les bancs d’office d’une chapelle, il s’adonne à la prière.
Convaincante est l’auscultation du pouvoir, la mise en valeur de la scission entre un personnel politique arnaqueur et le peuple accablé – une considération très analogue à la situation actuelle. Claudius, nouveau chef arrogant, et Polonius, son premier ministre, se présentent sous la forme d’une médiocre élite médiatique dans la perpétuelle représentation d’elle-même. Moins convaincant est l’assommant discours emprunt de religiosité, de mysticisme ampoulé qui flirte plus du côté des mauvaises litanies d’Olivier Py que des envolées fiévreuses d’un Paul Claudel.
Grâce à l’utilisation bien maîtrisée d’une écriture cinématographique omniprésente dans le spectacle – la vidéo est soit pré-enregistrée, soit filmée en direct – Benjamin Porée rend visible et lisible ses enjeux. Pour autant, son Hamlet, écartelé entre volonté vengeresse, aspiration à l’Idéal et diatribe anti-système d’une vaine provocation, reste flou.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Il nous faut arracher la joie aux jours qui filent
Pièce filmique inspirée d’Hamlet de Shakespeare
Mise en scène, Benjamin Porée
Avec Matthieu Dessertine, Maëlia Gentil, Christophe Grégoire, Nicolas Grosrichard, Mila Savic et Pierre-Alain Chapuis
Ecriture, Benjamin Porée et Matthieu Dessertine
Lumière, Lucien Valle
Scénographie, Benjamin Porée et Lucien Valle
Régie générale, Louise Douet Sinenberg
Création son, Thibault Hedoin
Costumes, Marion MoinetProduction La Musicienne du Silence
Coproduction Les Gémeaux – Scène nationale de Sceaux ; Le Parvis, scène nationale Tarbes-PyrénéesLa Musicienne du Silence est en résidence de production aux Gémeaux.
Durée : 2h55
Les Gémeaux, Scène nationale de Sceaux
Du 13 au 21 décembre 2018Le Quartz, Scène nationale de Brest
Les 9 et 10 janvier 2019Théâtre Luxembourg, Meaux
Le 17 janvier
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