Fabrice Melquiot a franchi le sommet de la montagne imposée par Arnaud Meunier, le directeur de la Comédie de Saint-Etienne : écrire une épopée moderne pour un grand plateau et pour huit comédiens. Le résultat donne une pièce chorale de 3 heures, J’ai pris mon père sur les épaules, emmenée par une brillante distribution.
La pièce dépeint la vie d’une bande d’amis dans une cité HLM. Un peu cabossés par les vicissitudes du quotidien, ils surmontent tant bien que mal leurs difficultés. Confrontés à un tremblement de terre, les fissures sont irréparables dans leur quotidien mais la solidarité les aide à vivre. La cité bétonnée est l’épicentre du spectacle, tout tourne autour d’un cube imaginé par le scénographe Nicolas Marie. Il met à nue sur deux niveaux chacun des appartements des personnages. Il y a celui de Roch (Philippe Torreton) et de son fils Enée (Maurin Ollès), celui d’Anissa (Rachida Brakni) et celui de Céleste (Bénédicte Mbemba). Au rez-de-chaussée, tout le monde se rejoint dans le kebab. On y croise Grinch le plus vieil ami de Roch (Vincent Garanger), Bakou un musulman qui a épousé les valeurs du jaïnisme (Frederico Semedo) et Mourad (Riad Gahmi) apprenti comédien secrètement amoureux de Enée . Et parmi ces personnages rôde le fantôme du fils de Grinch (Nathalie Matter).
Fabrice Melquiot s’est très librement inspiré des premiers chants de l’Eneide de Virgile, transposés dans la France d’aujourd’hui, celle de la banlieue. Un sujet casse-gueule au théâtre, mais l’auteur le prend par le bon bout. Il a écrit une comédie réaliste et sociale. Il s’attache avant tout à décrire avec précision la psychologie des personnages. Sans tomber dans la caricature. Il y met de l’humanité et de la tendresse. L’écriture est parfaitement maîtrisée et ciselée quand elle décrit les relations entre les personnages. Il y a de l’amour, de la trahison, de l’amitié. Fabrice Melquiot semble un peu mois à l’aise quand son récit devient sociétal et politique, lorsqu’il évoque les attentats de 2015, cela lui ressemble moins.
“De nos fenêtres, il n’y a aucune jolie vue sur un lac” disent sans amertume ces personnages très attachants. Rachida Brakni est particulièrement à l’aise avec le style de la pièce, ce long poème écrit sur le mode antique. Philippe Torreton joue un père atteint d’un cancer incurable, porté par son fils jusque dans son dernier souffle dans un long voyage vers le Portugal. Certainement le rôle le plus personnel de sa carrière. L’année dernière à la même époque, il était sur la scène du Rond-Point pour jouer Bluebird, son père était alité en Normandie. “C’est une belle réponse du théâtre à ce moment terrible que j’ai vécu l’année dernière, en me demandant chaque soir ce que je faisais sur scène alors que mon père se mourait dans un hôpital”, se confie Philippe Torreton. “La réponse a été cette pièce, je marche comme lui vers la fin. Ce métier est troublant.”
A ces comédiens fantastiques, il faut ajouter la prestation impressionnante de Vincent Garanger dans le rôle de Grinch, bougon au grand cœur qui se fait tatouer sur la poitrine un dessin de La fée Clochette. Mais aussi celle de Maurin Ollès formé à l’Ecole de la Comédie que l’on avait découvert dans Portrait(s) Foucault de Pierre Maillet, qui porte avec ténacité ce “père sur ses épaules”. Les autres comédiens sont également incroyables. Ils portent avec émotion cette épopée de 3 heures notamment dans la scène de la fête d’adieu dans l’appartement de Roch, tous rassemblés dans quelques petits mètres carrés, dansant sur le tube de Murray Head, Say It Ain’t So Joe. Une scène d’une grande humanité formidablement bien mise en scène par Arnaud Meunier et chorégraphiée par Cécile Laloy. Franchement, on ne voit pas le temps passer.
Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
J’AI PRIS MON PÈRE SUR MES ÉPAULES
texte Fabrice Melquiot | mise en scène Arnaud Meunier | collaboration artistique Elsa Imbert | avec (par ordre d’apparition) Rachida Brakni, Philippe Torreton, Maurin Ollès*, Vincent Garanger, Frédérico Semedo, Bénédicte Mbemba, Riad Gahmi*, Nathalie Matter | assistanat à la mise en scène et à la dramaturgie Parelle Gervasoni | assistanat à la mise en scène Fabio Godinho | scénographie Nicolas Marie | lumière César Godefroy | création musicale Patrick De Oliveira | costumes Anne Autran | construction décor et costumes Ateliers de La Comédie de Saint-Étienne | photo © Jeanne Roualet
* issus de L’École de la Comédie
production La Comédie de Saint-Étienne – CDN | coproduction Les Théâtres de la Ville de Luxembourg ; Célestins – Théâtre de Lyon | avec la participation du jeune théâtre national et le soutien du Fond d’Insertion pour Jeunes Artistes Dramatiques, D.R.A.C. et Région Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Durée: 2h55 sans entracteTournée 2019
La Comédie de Saint-Étienne – CDN
mar. 29 janvier au ven. 1er février et mar. 9 au jeu. 11 avril
6 au 8 février 2019
Théâtre de Nîmes
13 février au 10 mars 2019
Théâtre du Rond-Point, Paris
13 au 23 mars 2019
Célestins, Théâtre de Lyon
27 et 28 mars 2019
Bonlieu – Scène nationale d’Annecy
2 et 3 avril 2019
Les Théâtres de la Ville de Luxembourg
16 au 18 avril 2019
Scène nationale de Sète et du Bassin de Thau
24 au 26 avril 2019
CDN de Normandie-Rouen
9 et 10 mai 2019
Théâtre de Villefranche
16 au 18 mai 2019
Théâtre du Gymnase, Marseille
24 mai 2019
Maison des arts du Léman, Thonon les bains
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