Allégorie d’Haïti portée par Vladimir Delva, Sainte Dérivée des trottoirs se déploie l’espace public pour dire l’exclusion. Ses souffrances et son imaginaire. Un spectacle présenté aux Francophonies en Limousin et actuellement en tournée.
Dans la nuit qui tombe, Sainte Dérivée des trottoirs fait apparaître un paysage étrange. Ici, un amas d’ordures adossé à une cathédrale, à un portail ou à n’importe quoi. Là, un assemblage d’objets hétéroclites surmonté d’un crâne. Plus loin encore, un symbole dessiné avec du sable et un peu partout, de petites flammes posées au sol pour jeter sur l’ensemble une lumière tremblante. Que l’on soit à Capdenac, où le spectacle a été créé l’été dernier, à Chalon dans la rue ou, plus récemment, à Limoges pour les Francophonies en Limousin,ce spectacle conçu et interprété par Vladimir Delva, mis en scène par la directrice artistique du projet Alice Leclerc et scénographié par Astrid Durocher également en charge de la production, fait de la rue ou de la campagne un espace paradoxal. Un lieu où la magie, où la poésie côtoie le déchet au point d’en faire un enchantement. Où le sacré participe du profane, et inversement.
Sous-titré « spectacle ultra-marin pour rivages poétiques », Sainte Dérivée des trottoirs est un ethnodrame singulier. Une « forme d’un théâtre créole théorisé par Louis Mars et Franck Fouché, qui souligne l’impact des rituels mystiques caribéens dans l’art dramatiques haïtien », lit-on dans le dossier de presse – revisité par les codes du théâtre de rue que Vladimir Delva, d’abord formé à Port-au-Prince au Petit Conservatoire école de théâtre et des arts de la parole, pratique depuis sa rencontre avec le Théâtre de l’Unité en 2010. Avant de s’installer à Marseille pour intégrer la 6ème promotion de la FAI-AR, formation d’art en espace public, où il commence à incarner un personnage imaginé par l’auteur haïtien Faubert Bolivar dans un texte éponyme : Sainte Dérivée des trottoirs. Le spectacle du même nom est donc le fruit d’une recherche de longue date. D’une longue maturation.
La langue et le personnage de Faubert Bolivar méritent bien cette peine. En mettant dans sa bouche un français très inventif et métissé, dans le riche sillage tracé par exemple par les déjà classiques René Depestre et Jacques Stephen Alexis, et entretenu aujourd’hui avec talent par Makenzy Orcel ou encore James Noël, l’auteur campe une damnée de la terre que Vladimir Delva incarne avec force et sensibilité. Émergeant d’un tas d’ordures, vêtu d’une grande jupe cousue des mêmes détritus, il entraîne le public à travers l’espace décrit plus tôt en portant la belle parole toute brisée et bricolée de Sainte Dérivée des Trottoirs. Une prostituée qui rumine des histoires de rue en même temps que des miracles. Qui se lamente autant qu’elle se marre.
Affirmant entre autres délires avoir tué sa mère, couché avec son père ou encore noyé ses enfants, cette héroïne qui porte bien son nom se situe au carrefour du vaudou et des mythes d’ailleurs. Sainte-Dérivée des trottoirs est une exclue de partout. Une allégorie non seulement d’Haïti, mais de toutes les marges, à laquelle Vladimir Delva prête une élégance au-delà du genre. Autour de lui, muettes et livides, des figures porteuses de feu ou de chants qui évoquent la tradition du rara haïtien, festivités musicales de la période du Carême. C’est sûr, Sainte Dérivée sera aussi chez elle à Port-au-Prince, lors du Festival Quatre Chemins (19 novembre – 1er décembre 2018) où elle fera sa première apparition haïtienne.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Sainte Dérivée des trottoirs
Auteur du texte éponyme : Faubert Bolivar
Conception et interprétation : Vladimir Delva
Conception, mise en scène et lumière : Alice Leclerc
Scénographie et production : Astrid Durocher
Regard extérieur : Barthélémy Bompard
Collaboration artistique : Wilda Philippe
Costumes : Jacqueline Gautherie
Création sonore : Zidane Boussouf
Construction : Sebastien Coulomb et Benjamin DreyfusProduction : Azad production
Coproductions et accueils en résidence : Le Citron Jaune – Centre national des arts de la rue et de l’espace public – Port-Saint-Louis du Rhône • Sur le Pont – Centre national des arts de la rue et de l’espace public de Nouvelle Aquitaine – La Rochelle • Centre Intermondes – La Rochelle • Lieux Publics – Centre national des arts de la rue et de l’espace public et Pôle Européen de production – Marseille • L’abattoir – Centre national des arts de la rue et de l’espace public – Chalon-sur-Saône • Derrière le Hublot – Pôle des arts de la rue Midi Pyrénées – Capdenac.
Soutien : FAI-AR, formation supérieure d’art en espace public, SACD Lauréats 2018 « Auteurs d’espaces » et la Cie Kumulus
Durée : 45 mins
Fêtes le Pont – La Rochelle
Du 12 au 14 octobre 2018
Festival Quatre Chemins – Port-au-Prince (Haïti)
Du 19 Novembre au 1er Décembre 2018
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