Dans Au milieu de l’hiver j’ai découvert un invincible été, Anaïs Allais puise dans son histoire personnelle les bases d’une fiction qui questionne les relations entre France et Algérie. Ses violences qui perdurent et la possibilité d’un pont.
Pour Méziane Ouyessad, le jeu est une nouveauté. Le théâtre, il le vit d’habitude en régie. Et s’il monte aussi sur scène, c’est en tant que musicien du trio de chaabi nantais Intik. En lui confiant l’introduction d’Au milieu de l’hiver j’ai découvert un invincible été, l’auteure, metteure en scène et comédienne Anaïs Allais promet donc la quête d’une fragilité. D’un ancrage fort dans le réel aussi, car près du oud et de la guitare qu’il utilisera plus tard, c’est de lui que parle Méziane. Ou du moins, d’un personnage qui lui ressemble étrangement. « Je suis né, le samedi 4 juillet 1987 à Ighzer Amokrane. En Kabylie. Algérie. Je voudrais vous raconter l’histoire avec mon accent. Il est un peu particulier. Tout comme l’histoire d’ailleurs, qui est un peu particulière », commence-t-il. Avant de résumer en quelques minutes, avec une pédagogie bien personnelle, l’histoire franco-algérienne depuis la conquête de 1827 jusqu’à aujourd’hui, où il décrit sa terre natale comme « un pays tout juste sorti du four et qui nous a tous brûlé la langue ». Au sens propre comme au figuré.
Dans Au milieu de l’hiver j’ai découvert un invincible été, Méziane Ouyessad assume un rôle de passeur et de traducteur dans la double enquête qui se déploie autour de lui. Celle de Lilas (Anaïs Allais) d’abord, qui, atteinte d’un cancer, décide d’aller enquêter sur la partie algérienne de son histoire familiale dont presque rien ne lui a été transmis. Puis celle de son frère Harwan (François Praud) qui, après le décès de sa sœur, tente de reconstituer son voyage en Algérie. Et prend le relai de son apprentissage auprès de Méziane d’une chanson chaabi qui semble avoir bercé son enfance et celle de Lilas.
À l’effet documentaire créé par la parole de Méziane, l’histoire de Lilas et Harouane oppose un univers fictif qui finit par prendre le dessus. On pense aux drames historiques de Wajdi Mouawad à qui, à la demande du Grand T dont elle est artiste associée, Anaïs Allais a consacré la pièce W (2017). Pourtant, sur leur plateau nu à l’exception d’un grand bureau qu’il leur suffit de tourner pour indiquer un glissement temporel, les trois comédiens ne versent pas non plus dans l’épique qu’on connaît au directeur du Théâtre de la Colline. Si l’Algérie s’invite, c’est seulement à travers une vidéo et par le récit de voyage de Lilas, où celle-ci évoque son grand-père Abdelkader Benbouali. Soit le second « Algérien-français » à avoir fait carrière dans le football en métropole, qui est aussi le grand-père d’Anaïs Allais dont la découverte tardive, explique-t-elle dans la feuille de salle, est à l’origine de sa pièce. Origine hélas un peu lointaine.
La belle interprétation, l’écriture ciselée et la mise en scène soignée ne suffisent pas à remplir un manque que le footballeur aurait peut-être pu atténuer. Faute de choisir entre ses différents fils narratifs, Anaïs Allais peine aussi à donner de la chair à ses protagonistes, qui se définissent essentiellement par leur tentative collective de consolation franco-algérienne. Démarche encore rare sur nos scènes, alors qu’avec des auteures comme Kaouther Adimi ou Alice Zeniter le paysage romanesque francophone témoigne depuis une dizaine d’années d’un vif intérêt pour les relations entre France et Algérie. Si elles ne sont pas toutes tenues, les belles promesses d’Au milieu de l’hiver j’ai découvert un invincible été créent donc une attente que l’on espère voir bientôt comblée.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Au milieu de l’hiver j’ai découvert un invincible été
Texte et mise en scène : Anaïs Allais
Avec : Anaïs Allais, Méziane Ouyessad, François Praud
Collaboration artistique : Damien Gabriac
Dramaturgie : Charlotte Farcet
Scénographie : Lise Abbadie
Vidéo : Isabelle Mandin
Création sonore : Benjamin Thomas et Méziane Ouyessad
Création lumières : Sébastien Pirmet
Construction décor : Ateliers du Grand TProduction : La Grange aux Belles
Coproduction Le Grand T, théâtre de Loire Atlantique et La Colline – théâtre national
Avec le soutien de La Halle aux Grains — Scène nationale de Blois, de la DRAC des Pays de la Loire, de La Région Pays de la Loire, du Conseil départemental de Loire-Atlantique, de la Ville de Nantes, de la SPEDIDAM
La compagnie La Grange aux Belles est soutenue par le Conseil départemental de Loire-Atlantique,
Anaïs Allais est artiste associée au Grand T.
La pièce est publiée aux éditions Actes Sud-PapiersDurée : 1h30
Théâtre National de la Colline
Du 9 novembre au 1er décembre 2018La Halle aux Grains – Scène nationale de Blois
Les 5 et 6 décembre 2018
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