Dans Dialogues avec Leucò de Cesare Pavese, Silvia Costa puise la matière d’un rituel théâtral où l’antique côtoie l’actuel. Où l’humain fraie avec le divin, jusqu’à hélas s’oublier en lui.
Si le suicide de Cesare Pavese en 1950, alors que sa gloire était à son apogée, jette sur l’ensemble de son œuvre un voile tragique, c’est sur Dialogues avec Leuco (1947) qu’il est le plus épais. De la part de cet auteur obsédé par la question de la forme – celle de l’existence, autant que de l’écriture – , on ne peut en effet attribuer au hasard le fait qu’il ait gribouillé son mot d’adieu sur la première page de ce livre où il fait dialoguer les dieux et les hommes. Tandis que, allongée sur le sol dans une robe dorée, aussi immobile qu’une gisante, la metteure en scène, scénographe et interprète italienne Silvia Costa fixe une lame qui fait balancier au-dessus de son corps, on pense donc à ce message plein de mystères : « Je pardonne tout le monde et je demande pardon à tout le monde. Ça va ? Pas trop de commérages ».
Adaptation très libre de l’œuvre citée plus tôt, Dans le pays d’hiver creuse cette énigme à la manière d’un rituel où les mots ont la même valeur que les objets et les gestes. Où le ciel et la terre se rejoignent, de même que la vie et la mort. Cela à travers une succession de tableaux vivants, entre théâtre et arts visuels, basés sur six des vingt-sept textes de Dialogues avec Leuco : Le Mystère, La Mère, La Bête, L’Homme-Loup, Le Déluge et Les Dieux, qui abordent chacun une ou plusieurs questions relatives aux fondements de l’Humanité. La naissance, l’exploit, la culture et la liberté, mais aussi leurs contraires. Soient la mort, la faute, l’animalité ou encore la dépendance aux Dieux.
Partageant le goût de Cesare Pavese pour le symbole, Silvia Costa compose avec ses deux compagnes de plateau, Laura Dondoli et My Prim, des images qui ne se laissent réduire à aucune signification. Et qui, comme le mot d’adieu de Pavese, apparaissent comme des énigmes davantage que comme des tentatives d’élucidation du monde. Illustrant tantôt les dialogues qu’elles prononcent, tantôt s’en tenant à une assez grande distance, les trois interprètes issues de pratiques différentes – Laura Dondoli est à la fois actrice, performeuse et créatrice de costumes, et la Suédoise My Prim est une danseuse contemporaine – se livrent à une poésie dont la beauté fait le même effet que l’idée du suicide à Cesare Pavese en 1936, lorsqu’il publie ses premiers poèmes : elle « intéresse plastiquement, mais nous laisse à nous-même ».
D’une lenteur somnambulique, les belles images de Dans le pays d’hiver manquent des contrastes que décrit Cesare Pavese dans Le métier de vivre lorsqu’il évoque ainsi ses Dialogues avec Leuco : « les dieux savent-voient magico-rationnellement et avec détachement. Les hommes agissent, non magiquement, avec douleur ». Bien qu’ôtant au milieu du spectacle le bustier d’argile qui leur enserre d’abord la poitrine, les trois comédiennes demeurent aussi rigides et altières que des statues grecques. Qu’elles fassent sortir des peaux de bête des entrailles d’une louve de métal allaitant des Rémus et Romulus du même acabit, qu’elles se livrent à une marche immobile au milieu d’un cerceau de branches ou se parent d’immenses bijoux qui les relient les unes aux autres, Silvia Costa, Laura Dondoli et My Prim ne disent en effet en rien de l’idée de fête primordiale qui traverse l’œuvre de l’auteur italien. Ni des arbres, des fleuves, des collines et des prés qui, dans son œuvre, sont derrière chaque idée et chaque image, qui échappent ainsi à l’hermétisme où finit par tomber Dans le pays d’hiver.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Dans le pays d’hiver
Adaptation, mise en scène et scénographie : Silvia Costa
D’après Dialogues avec Leuco de Cesare Pavese
Avec : Silvia Costa, Laura Dondoli, My Prim
Création sonore : Nicola Ratti
Lumière : Marco Giusti
Costumes : Laura Dondoli
Collaboration à la scénographie : Maroussia Vaes
Sculptures de scène : Paola Villani
Travail vocal : NicoNoteProduction MC93 — Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis
Coproduction : Festival d’Automne à Paris, Le Quai — CDN Angers Pays de la Loire, FOG Triennale Milano Performing Arts, Festival delle Colline Torinesi / TPE Teatro Piemonte Europa, Teatro Metastasio di Prato, LuganoInScena au LAC (Lugano Arte e Cultura), Teatro Stabile del Veneto
Avec le soutien de l’Onda – Office national de diffusion artistique
Durée : 1h15MC93 – Maison de la culture de Seine-Saint-Denis Bobigny
Du 9 au 24 novembre 2018Reims Scène d’Europe
le mardi 29 et le mercredi 30 janvier 2019
Atelier de la Comédie de Reims
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