À l’origine de la « conférence gesticulée », forme singulière de prise de parole politique qui connaît un succès grandissant, Franck Lepage démonte avec brio dans Inculture I les mécanismes de « La Culture ». Il a été l’invité inattendu du festival La Route du Sirque à Nexon (6-25 août 2018).
Entre Franck Lepage et l’institution, c’est une histoire longue et complexe, pleine de rebondissements, de digressions et de parenthèses. À l’image de Inculture I, sa première conférence gesticulée créée en 2006, et qui compte aujourd’hui plus de 600 représentations. Directeur jusqu’en 2000 des programmes à la Fédération française des Maisons des jeunes et de la culture, le militant a cru pouvoir y développer sa vision de l’éducation populaire. Un poireau et un arrosoir à la main, il avoue la mort de ses illusions dans son spectacle qu’il ne qualifie jamais comme tel. « Aujourd’hui, j’habite en Bretagne et je suis dans la culture des poireaux. Avant, j’habitais Paris et j’étais dans la culture tout court. La Culture avec un grand Q », dit-il des les premières minutes, histoire que les choses soient claires. Qu’on ne se demande pas pourquoi l’homme à la parole fleuve – sa conférence peut durer entre deux et six heures – est jusque-là resté à l’écart des structures culturelles nationales.
Sa présence à La Route du Sirque, festival du Pôle National Cirque de Nexon Nouvelle-Aquitaine, le 12 août, avait donc de quoi surprendre. D’autant plus que pour Franck Lepage, gesticuler n’est pas jongler, et encore moins s’essayer à l’acrobatie. C’est simplement sortir du carcan de la conférence classique en s’appuyant sur une expérience personnelle. Sur un savoir « non légitimé par une instance universitaire ou par le CNRS », peut-on lire sur le site de l’Ardeur, association d’éducation populaire politique fondée en 2014 par plusieurs conférenciers gesticulants pour prendre la suite de la coopérative Le Pavé à l’origine du mouvement.
Car s’il est le plus connu, Franck Lepage est loin d’être le seul à faire sur scène un « usage sociologique de la biographie » : formés pour beaucoup par des ateliers donnés au sein de l’association, de nombreux conférenciers s’expriment aujourd’hui sur des sujets variés. Et touchent le public à travers un réseau de plus en plus large d’associations, de mairies, de syndicats ou encore de certains lieux culturels. Pour preuve, la salle comble du 12 août à Nexon, pour cinq heures de conférence, ainsi que les deux journées organisées en octobre à la Ferme du Buisson, où l’on pourra entendre parler d’orientation scolaire et professionnelle, des services publics ou encore du formatage culturel et de la lutte pour la reconquête du sens critique. Sujet aussi au cœur du travail de Franck Lepage, et des préoccupations de Martin Palisse, directeur du Pôle Cirque de Nexon de 2014.
Jugeant que « le cercle, constitutif du cirque, finit par enfermer la discipline », ce dernier porte un regard inquiet sur l’état actuel de son champ artistique. Comment continuer d’expérimenter, de critiquer, en pleine institutionnalisation des arts du cirque ? Comment résister à l’uniformisation des esthétiques ? La conférence de Franck Lepage pose d’autant mieux la question qu’elle est consacrée à des questions plus larges. En remettant en cause non seulement la hiérarchie entre les arts, mais aussi celle qui place ceux-ci au-dessus de toutes les autres formes de culture, la conférence de Franck Lepage incite à recréer les conditions du dialogue entre l’art et le monde. À la Route du Sirque, elle annonce un nouveau chemin, plus tourné encore vers d’autres disciplines. Vers la pensée et la parole aussi, dont Martin Palisse estime que le cirque a plus que jamais besoin « pour sortir du conservatisme dans lequel il s’est engagé depuis quelques années ».
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Inculture I
De et par Franck Lepage
Production déléguée Le KsamkaToutes les dates des conférences gesticulées sur www.ardeur.net
À La Ferme du Buisson à Noisiel du 13 au 14 octobre 2018. www.lafermedubuisson.com
Festival La Route du Sirque – 87800 Nexon
6-25 août 2018
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