Isabelle Adjani est de retour sur scène. Cet été avec Lambert Wilson, elle a lu des extraits de la correspondance de Maria Casarès et Albert Camus dans une adaptation de Valérie Six. Un triomphe au TNP de Villeurbanne, au festival de la correspondance de Grignan et dans le cadre des lectures de France Culture au Festival d’Avignon. Isabelle Adjani reconnecte à la scène avant le spectacle très attendu de Cyril Teste, Opening Night, librement inspiré de la pièce de John Cromwell et du scénario du film de John Cassavetes (première mondiale le 22 février 2019 au Théâtre de Namur). Dans la chaleur de l’été, Isabelle Adjani revient pour sceneweb sur cette série de lectures.
A quel moment dans votre lecture de la correspondance, l’idée d’en faire un spectacle vous est apparue ?
Ce n’est pas vraiment devenu un spectacle. Disons qu’il s’agit d’une mise en corps et d’un mise en voix de Maria Casarès et d’Albert Camus sans être pour autant une incarnation, plutôt une interprétation à deux voix . C’est en enregistrant un audio-livre pour les éditions Gallimard avec Lambert Wilson que nous avons eu cette idée avec Valérie Six, qui s’est chargée de la réaliser.
Comment avez-vous procédé pour adapter les 1312 pages de l’ouvrage ?
Valérie Six forte de ses 25 ans d’expérience en communication, à l’Odéon m’accompagne depuis près de deux ans dans les lectures que je donne dans des théâtres. C’est elle qui, proche de Patrice Chéreau, m’a poussée à me lancer dans cet exercice nouveau pour moi, et je ne le regrette pas. Pour cette correspondance, elle a fait un travail conséquent de pré-sélection et nous a proposé plusieurs enchaînements qui font sens mais ne sont pas pour autant une suite de réponses aux lettres envoyées par l’une et par l’autre.
Une correspondance, ce sont des moments d’écriture solitaires, où l’on ne voit pas l’autre. Comment résoudre cette équation sur scène ?
C’est là tout le dilemme quand on choisit de ne pas mettre en scène leur relation mais de lire leur correspondance. Que choisir pour nous ? Lire les lettres de Casarès et Lambert Wilson, celles de Camus ? Ou bien l’inverse ? Car vous avez raison, quand on écrit à l’autre, on est seul et on ne le voit pas, mais c’est la même chose quand on le lit, on lit seul une lettre sans voir celle ou celui qui l’a écrite. Nous ne nous regardons pas. Sauf a un moment partagé, que nous avons imaginé, ou nous nous rejoignons physiquement pour une danse dans l’éternité, sur la chanson « The man I love » d’Ella Fitzerald. Mais il n’en reste pas moins vrai que la lecture sur scène pose une question que l’enregistrement ne posait pas.
Pensez-vous que pour Camus, entretenir cette correspondance avec Maria Casarès a pu agir comme une thérapie pour soigner ses doutes et ses angoisses ?
Je ne sais pas si l’écriture est une thérapie. Certaines thérapies utilisent l’écriture ou d’autres arts pour aider les patients à vivre avec leurs affections psychiques sans être submergés par la douleur, la peur et les angoisses. Mais ici, il s’agit d’autre chose, c’est un homme amoureux qui écrit à la femme qu’il aime et qui partage avec elle les affres de la création car il sait qu’elle peut le comprendre, parce qu’elle l’aime et qu’elle aussi est une artiste. D’ailleurs il ne lui parle pas que de la difficulté d’écrire et de vivre, ni de ses engagements politiques ou de son questionnement existentiel, il parle aussi de ses enthousiasmes et des certitudes de la vie au quotidien, et beaucoup de ses sentiments qu’il a besoin de faire exister avec elle.
On peut lire l’ouvrage comme l’échange épistolaire de deux amoureux, mais aussi comme une lecture de la France culturelle et de la France théâtrale des années 50. Qu’est ce qui est le plus important pour vous ?
Le plus important, c’est toujours l’amour, parce qu’il devient un prisme qui dit le monde dans lequel se vit la relation sans que le monde soit le sujet de la correspondance. Ce n’est pas une correspondance entre deux intellectuels qui dissertent brillamment sur des concepts, l’histoire ou des faits de société. Alors oui, on peut y trouver des éléments qui caractérisent le monde des arts et des lettres des années 50, et pas seulement, il y a aussi des mises en lumière de la politique et des relations internationales d’alors, mais c’est avant tout leur lumière intérieure. L’amour n’est jamais un commentaire, ni une anecdote…
Avez-vous aussi entretenu une correspondance amoureuse ?
Qu’en pensez-vous ? Une correspondance amoureuse ou plusieurs ? … C’est mon secret.
L’amour épistolaire est devenu désuet alors qu’on a soif de correspondance, c’est curieux non?…
Après le succès de cette lecture à Villeurbanne, à Grignan et au Musée Calvet, quel bilan tirez-vous de cette aventure ?
L’enthousiasme du public m’a étonnée et bouleversée. Étonnée parce que je ne savais pas qu’il y avait autant d’amatrices et d’amateurs de ces lectures en scène, bouleversée parce qu’à la fin, il ne s’agit pas d’une actrice qui rencontre son public, mais d’une lectrice qui rencontre d’autres lectrices et lecteurs. Blandine Masson avec le réalisateur Alexandre Plank, pour France Culture ont orchestré l’événement pour Avignon, en connaissance de cause, dans cet esprit là. Une lecture se partage beaucoup plus facilement qu’une interprétation jouée, qu’une mise en scène, même quand deux personnes sont une lecture diamétralement opposée.
Beaucoup de spectateurs n’ont pas pu assisté à la lecture, malgré les deux représentations au Musée Calvet, un lieu plus grand n’aurait-il pas été à la mesure de cet événement ?
C’est un lieu magnifique et magique qui permet de s’abandonner à une intimité propice et nécessaire à la lecture. C’est un moment totalement différent de celui que nous avons vécu dans le splendide TNP de Villeurbanne où cette lecture a été faite pour la première fois. Au Musée Calvet, il n’y a pas de distance scénique, ce qui impose à nous, acteurs, l’humilité, lire, s’infiltrer entre les lignes, sans endosser un rôle. La véritable mesure des événements, ce n’est pas la taille, c’est la profondeur…
Propos recueillis par Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
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