Dans Un jour j’ai rêvé d’être toi, Anaïs Müller et Bertrand Poncet forment un duo à l’humour doux-amer, nostalgique de l’âge d’or du cinéma français et en quête d’une énergie nouvelle. La pièce se joue au Train Bleu dans le Off à Avignon, une belle découverte dans ce nouveau lieu du Off.
On la compare à Fanny Ardant, à Bernadette Lafont ou encore à Bulle Ogier, et ça la réjouit autant que ça la désespère. Quant à lui, il déplore que personne n’ait encore remarqué qu’il y a dans sa prestance quelque chose de Gérard Depardieu, son idole. Alors il se contente d’une lointaine ressemblance avec Jean-Pierre Léaud, et rit jaune lorsqu’on lui sert du Louis de Funès. Ange et Bert ont le sentiment d’être nés trop tard. Après un grand bouleversement de l’ordre social et de l’art. Obsédé par le cinéma de la Nouvelle Vague, le jeune et joli duo que forment Anaïs Müller et Bertrand Poncet part du film Femmes Femmes de Paul Vecchiali pour dire la déroute de sa génération. Et interroger la capacité du théâtre à participer à la réinvention du monde.
L’argument de Un jour j’ai rêvé d’être toi est simple : Ange, comédienne en mal de reconnaissance, et Bert qui ne sait pas où il en est avec son genre jouent la comédie pour dissiper l’ennui. Moqueurs et capricieux comme des gosses, ils s’inventent des rôles qui ressemblent à ceux du film cité plus tôt : Ange sera un type qui vient d’être largué par sa femme, et Bert une femme pas très sûre d’elle, mal assurée sur ses hauts talons. Pour parler comme eux, ils sont « deux oiseaux de la nuit qui touchent le fond et qui se demandent c’est quoi vivre alors ». Ce qui ne les empêche pas de faire preuve dans leur bavardage tout décousu d’un humour qui confine à l’absurde.
On pense à Beckett, bien sûr, mais aussi à Céline et Julie vont en bateau de Jacques Rivette. Comme les deux héroïnes éponymes de ce film, incarnées par Juliet Berto et Dominique Labourier, Ange et Bert ont une folie qui les fait voyager loin du narcissisme ambiant qu’ils passent leur temps à critiquer, mais dont ils sont les premières victimes. Né d’une amitié de très longue date – Anaïs Müller et Bertrand Poncet se connaissaient bien avant d’entrer à l’école du Théâtre National de Bretagne et à celle du Théâtre National de Strasbourg –, le duo s’amuse de la folie de son microcosme comme Céline et Julie se délectent de celle des habitants de la maison magique qu’elles ne peuvent visiter qu’en suçant un bonbon. Quand Ange et Bert, eux, se triturent l’âme en buvant du thé.
Parmi leurs questions existentielles, le théâtre occupe une place centrale. Leitmotiv de leur papotage, la quête d’un « jouer vrai » témoigne d’une belle inquiétude dont les deux comédiens comptent bien continuer à dénouer le fil. Un jour j’ai rêvé d’être toi est en effet le premier volet d’un triptyque intitulé Les traités de la perdition, où ils se donnent pour but de « mettre en exergue la mort d’un monde qui se décompose de l’intérieur » en s’appuyant sur des œuvres du passé. Après Paul Vecchiali, c’est en effet sur les traces de Marguerite Duras que partiront les deux acolytes dans Là où je croyais être il n’y avait personne[i], la seconde partie de leur spectacle.
C’est donc une belle découverte qu’offre le Théâtre du Bleu, nouveau lieu du Off fondé par les comédiens Quentin Paulhiac, Charles Petit et Aurélien Rondeau, dont la belle programmation et les trois salles accueillantes attestent d’une volonté de servir la diversité de la création contemporaine. De, lit-on sur leur site internet, « favoriser toutes les nouvelles formes d’expression, œuvrer à l’émergence de nouveaux projets et en faciliter l’épanouissement ». Une autre histoire à suivre…
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Un jour j’ai rêvé d’être toi
Mise en scène : Anaïs Muller & Bertrand Poncet
Auteur : Anaïs Muller & Bertrand Poncet
Adaptation : Dramaturgie : Pier Lamandé
Scénographie : Anaïs Muller & Bertrand Poncet
Création lumière : Diande Guerin
Création sonore : Kévin NorwoodAvec : Anaïs Muller & Bertrand Poncet
Production : compagnie Shindô
Coproduction : Comédie de Picardie – scène conventionnée
Partenaires et soutiens : Ville d’Arles, SPEDIDAM
La compagnie Shindô est implantée en Provence-Alpes-Côte d’Azur.Théâtre du Train Bleu – Festival Off 2018
Du 6 au 29 juillet 2018 à 17h30.
Relâche les 9, 16 et 23 juillet.[i] Anaïs Müller et Bertrand Poncet en donneront une lecture le 23 juillet à 11h au Théâtre du Train Bleu
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