Spécialiste du dramaturge britannique dont il est l’un des plus fins connaisseurs, Jérôme Hankins réinvestit avec intensité son sombre univers. Écrite pour un public adolescent, Le Bord analyse les affres intimes et familiaux d’une jeune génération confrontée à la crise sociale.
Pour qui n’y prend pas garde, la langue d’Edward Bond peut s’avérer piégeuse. Sous ses airs simples, voire simplistes, son écriture grammaticalement proche du langage parlé cache un sous-texte puissant. De prime abord très concrètes, dotées d’une fonction apparemment primitive, ses phrases courtes, parfois dénuées de sujet, forment un ensemble brut que tout metteur en scène doit s’employer à sculpter. A ce jeu-là, Jérôme Hankins possède une longueur d’avance. Engagé depuis plusieurs années dans un programme de traduction des pièces du dramaturge britannique, il en a exploré les moindres recoins et est devenu l’un des plus fins spécialistes de ses œuvres « jeune public ».
Après Les Enfants, Le Numéro d’équilibre, La Flûte, La Pierre et Everyman, le patron de l’Outil Compagnie a décidé de remettre Le Bord sur le métier. Déjà créé durant la saison 2016-2017, le spectacle arrive dans une version entièrement remaniée au Théâtre de l’Épée de Bois. Écrite pour être jouée dans les collèges et les lycées devant un parterre d’adolescents, la pièce ausculte subtilement les affres intimes de cet âge tourmenté dans une société en proie, comme le veut la tradition bondienne, à une violente crise économique et sociale, incarnée par cet ivrogne sur lequel Ron bute alors qu’il rentre chez lui. Nargué par le jeune garçon, persuadé qu’il lui a dérobé son portefeuille, le vieil homme le poursuit jusque dans sa cuisine, où l’attend sa mère prête à célébrer le dernier dîner avant le départ de son fils.
Dans sa direction d’acteurs fondée sur l’engagement des corps et la vivacité du verbe, Jérôme Hankins offre toutes les clefs scéniques à ses trois comédiens pour leur permettre de donner le juste relief et la bonne profondeur à leurs personnages. Anti-modèle rageur contre la génération qui vient, symbole de la déchéance sociale qui menace le futur de Ron, Yves Gourvil incarne avec doigté un ivrogne ectoplasmique. Grâce à son jeu empreint d’une étrangeté qui fait planer le doute sur son existence réelle, il hante le présent du jeune homme pour mieux le mettre en garde quant à son avenir, et agit comme le catalyseur de rapports mère-fils placés sous le signe du non-dit.
Face à cet inconnu contre lequel il devrait faire front commun, le tandem filial apparait plus désuni que jamais. Le vieil ivrogne n’a rien à faire, ou presque, pour faire dérailler une relation au bord de l’implosion. En femme forte, Françoise Gazio use d’une intensité retenue qui donne à voir, sans pathos, les failles d’une mère secrètement dévastée par le départ de son fils. Moins à l’aise avec le phrasé saccadé de Bond, parfois en surjeu, Hermès Landu dessine les contours d’un adolescent tiraillé entre l’envie de s’émanciper et la peur d’échouer, le désir d’échapper à l’étouffement familial et la crainte de blesser sa mère. Autant de thèmes qui trouveront un écho particulier chez les plus jeunes, et feront immanquablement réfléchir les plus vieux.
Vincent BOUQUET – www.sceneweb.fr
LE BORD
d’Edward Bond
Outil compagnie / création 2018Traduction et mise en scène: Jérôme Hankins
avec Françoise Gazio, Yves Gourvil et Hermès Landu
Assistante à la mise en scène: Aurore Kahan
Création lumière: Anne Vaglio
Scénographie: Alexandrine Rollin
Costumes: Hélène Falé
Régie: Vincent Lengaigne
Administration de production: Karine Thénard-Leclerc – Gere’Arts
Presse : Catherine Guizard (La Strada et cies)
Coordination générale: Arlette MeunierEn résidence au Château Blanc, Espace art et culture, Flixecourt (Somme)
avec le soutien d’Amiens-Métropole, du Conseil départemental de la Somme, du Conseil régional des Hauts de France, de l’ADAMI et de la SPEDIDAM
Durée: 1h05Théâtre de l’Épée de bois à Paris, du 11 au 30 juin 2018 – Salle Studio.
Représentations du lundi au vendredi à 20h30 et le samedi à 16h00 et 20h30.
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