Dans Si loin si proche, Abdelwaheb Sefsaf met son art du théâtre musical au service d’un récit épique de retour au pays. Un bonheur d’humour et de lucidité.
Assis sur une des stèles funéraires qui occupent le centre du plateau, devant un crâne de métal percé d’un poème de Mahmoud Darwich écrit en arabe, Abdelwaheb Sefsaf ouvre Si loin si proche avec un air grave. Presque funèbre. Le monde arabe, dit-il, est un cimetière. Une nécropole où l’on marche pieds nus. Ne craignant « ni les courants, / Ni les rochers tranchants, / Ni l’oubli ». Entre les musiciens Georges Baux et Nestor Kéa, installés chacun d’un côté de la scène, sa parole ne tarde pas à devenir chant. « Nous sommes les marcheurs nus. Arbres / Déracinés, / Nous naissons de l’horizon », prononce-t-il encore avant de traîner vers les coulisses les tombes à roulettes, dont on découvre l’envers tapissé de fleurs. Pas question pour Abdelwaheb Sefsaf de s’éterniser dans la peine. Le crâne géant s’en charge pour lui. Et encore, il affiche un drôle de sourire.
Bien que né en France de parents algériens, formé à l’École Nationale Supérieure d’Art Dramatique de Saint-Étienne et riche d’une double expérience théâtrale et musicale, Abdelwaheb Sefsaf aborde la mort avec une joie qui évoque celle des Mexicains. Il la chante un peu et change de sujet. Sans transition, il entame à la première personne le récit d’une enfance française ponctuée par des vacances en Algérie. Après Médina mérika (2015), une très libre réécriture de Mon nom est rouge du romancier turc Orhan Pamuk, et le spectacle Murs créé en novembre 2016 au Théâtre de la Croix Rousse à Lyon – où il a aussi présenté Si loin si proche, et mené pendant deux ans un projet participatif métropolitain intitulé « Français du futur » – il ose pour la première fois l’autofiction. Et s’y épanouit pleinement.
Dans Si loin si proche, les heureux métissages entre influences arabes et occidentales que mène depuis 2010 le comédien, chanteur et metteur en scène avec sa compagnie Nomade in France lui permettent de revisiter avec succès un thème classique de la littérature et du théâtre arabes et africains contemporains : le retour au pays. Après une rapide présentation des personnages principaux – la mère, grande amatrice de feuilletons égyptiens, le père, féru de politique française, et une fratrie nombreuse –, Abdelwaheb Sefsaf se lance en effet dans une épopée à hauteur de gosse. Où, forcée de se rendre en Algérie pour le mariage du frère, la famille au grand complet se retrouve sur la route dans un véhicule bricolé. Car si ce petit monde réussit tant bien que mal à rouler, ce n’est pas sur l’or, loin de là. D’autant moins que toutes ses économies vont dans la construction d’une maison au pays.
C’est donc le portrait d’une génération d’émigrés que fait Abdelwaheb Sefsaf. Celle de ses parents, arrivés en France dans les années 60 avec l’objectif de repartir dès que possible. Si loin si proche pointe donc évidemment les injustices de la politique d’immigration française, mais toujours par l’humour. Par une caricature proche du burlesque qui n’épargne personne. Surtout pas la famille, dont l’obsession du « provisoire » fait l’objet de délicieuses descriptions. Entre rock, sonorités arabes et éléctros, la musique est à l’image de l’écriture bien ciselée des monologues. À celle aussi des personnages et de la scénographie de Souad Sefsaf. Haute en couleurs. Pleine de surprises dans sa manière de passer d’un sujet à l’autre. De la tristesse au bonheur, et inversement. Dans l’esprit partageur du groupe Aligator fondé par Abdelwaheb Sefsaf et son complice Georges Baux, des chansons en français cohabitent en excellente entente avec d’électriques morceaux en arabe. Abdelwaheb Sefsaf ne franchit pas les frontières : il les habite, avec une intelligence et une inventivité rares.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Si loin si proche
Musique : Aligator
Texte : Abdelwaheb Sefsaf
Mise en scène : Abdelwaheb Sefsaf en collaboration avec Marion Guerrero
Dramaturgie : Marion Guerrero
Avec les musiciens Georges Baux (claviers et guitare) et Nestor Kéa (live machine et instruments à cordes)
Jeu, chant et percussions : Abdelwaheb Sefsaf
Lumières et vidéo : Alexandre Juzdzewski
Scénographie : Souad Sefsaf
Régie générale et son : Tom Vlahovic
Administratrice : Stéphanie Villenave
Administratrice de tournée : Souad Sefsaf
Diffusion : Houria Djellalil et Isabelle Muraour
Production : Compagnie Nomade in France
Coproduction: Ville du Chambon-Feugerolles, Centre culturel Aragon – Oyonnax, Théâtre de la Croix-Rousse – Lyon et du Théâtre de La Renaissance – Oullins-Lyon Métropole
Avec le soutien de : SPEDIDAM, département de la Loire
Avignon (84) – Le 11 • Gilgamesh Belleville
Du 6 au 27 juillet 2018 à 16h10 (relâches les 11 et 18 juillet)Théâtre La Buire – L’Horme (42)
Le 16 octobre (en cours)Théâtre de Givors (69)
27 novembre (en cours)Maison des Métallos – Paris
10 > 16 ou 17 > 23 décembre (en cours)Théâtre de Tarare (17) </strong
Le 2 février 2019La Comédie de Saint-Etienne (42)
Les 7 et 8 février 2019Théâtre Sarah Bernhardt – Goussainville (95)
Le 19 avril
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