Jacques Allaire signe sa première mise en scène à la Comédie Française. Dans le petit Studio Théâtre, il a choisi un conte très court d’Andersen (quatre pages), l’histoire d’un empereur (Alexandre Pavloff) qui n’a d’amour que pour les beaux vêtements, à tel point qu’il en change plusieurs fois par jour obligeant sa cour à rester à ses côtés. Serviles, les pages vont et viennent autour de lui, se prennent des baffes et des coups parce qu’ils ne sont pas assez rapides. Cet empereur est une sorte de dictateur de l’habit. Jacques Allaire a conçu une belle mécanique. Les habits montent et descendent des cintres, comme autre fois dans les mines de charbon, suspendus à des crochets (ces éléments proviennent des Mines de Potasse d’Alsace). Les couronnes sont amassées dans un caddie, et les sujets (les élèves-comédiens de la Comédie-Française en habits noirs) sont des ombres. L’apparat étant le seul centre d’intérêt de l’Empereur, il délaisse l’Impératrice (Julie-Marie Parmentier), poupée statique dans une boîte en verre que l’on bouge de temps en temps, comme l’on remonte les poupées mécaniques pour les faire danser.
Aucun mot n’est prononcé par les comédiens, seuls quelques balbutiements de l’Empereur sont perceptibles. Jacques Allaire leur impose le silence et une voix off explique l’action. Tout se joue dans les situations, dans le burlesque, comme dans les films muets du début du 20 ème siècle, les Buster Keaton ou les Charlie Chaplin. Jacques Allaire explique : « J’entends par spectacle « muet » l’absence de paroles, ou le peu de mots au sens d’un dialogue ou monologue théâtral. Cela m’apparaît comme une nécessité afin de faire ressortir l’isolement, la solitude et l’absence d’échanges autres que flatteries, admiration et répression.Je pense pouvoir proposer avec Andersen une comédie délirante, la vision drolatique d’un monde servile, répressif et souffrant autant qu’il est absurde. Perpétuel mobile, machinerie désopilante, de petits êtres devenus les ressorts d’un mécanisme de bêtise[1]. Jacques Allaire a réalisé un très gros travail sur le son (avec Céline Bakyaz), un mixage de pensées, de bruitages, de documents d’actualité. Cette ambiance sonore réussie ajoute au côté étrange de cette société particulière.
Mais la charge comique désirée par Jacques Allaire ne passe pas le stade de l’idée. Même dans la deuxième partie du spectacle lorsque deux escrocs (Adrien Gamba-Gontard et Félicien Juttner) volent les vêtements de l’Empereur et kidnappent l’Impératrice (dans une male en osier) la mécanique burlesque affichée ne déclenche par le rire. L’Empereur se retrouve à la fin nu comme un ver devant son miroir, en contemplant son plus bel habit.
Il faudra donc attendre un peu pour entendre la voix de deux des nouveaux pensionnaires du Français, Julie-Marie Parmentier et Félicien Juttner. Cette absence de dialogues provoque d’ailleurs le mécontentement et l’étonnement de beaucoup de spectateurs, troublés par l’atmosphère du spectacle, et étrangers à l’ambiance dessinée par Jacques Allaire.
Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
[1] Dossier de presse de la Comédie-Française, propos recueillis par Laurent Muhleisen, conseiller littéraire à la Comédie-Française, octobre 2010.
Hans Christian Andersen. Né en 1805 dans une petite ville du Danemark, pauvre, et orphelin de bonne heure, il gagne Copenhague à l’âge de 14 ans pour tenter sa chance. Il publie ses premiers textes d’inspiration romantique en 1822. Tout au long de sa vie il écrira des romans, souvent inspirés par son propre parcours. On lui doit plusieurs autobiographies, une volumineuse correspondance et un imposant journal. Mais ce sont ses recueils de contes, dont la rédaction s’étale sur plus de quarante ans, qui lui assureront un succès mondial. Ils se distinguent par une utilisation habile de la langue populaire, des descriptions d’émotions subtiles et des idées fines alliant la poésie, le merveilleux, l’ironie et le tragique. Le Vilain Petit Canard, La Petite Marchande d’allumettes, La Petite Sirène, La Reine des neiges sont autant d’oeuvres appartenant aujourd’hui au patrimoine de l’humanité. Andersen meurt à Copenhague en 1875.
Jacques Allaire. Né en 1963, titulaire d’une maîtrise de philosophie, il suit une formation de comédien au Conservatoire national d’art dramatique de Rennes et entame une carrière d’acteur. Il joue sous la direction de Claude-Jean Philippe, Patrice Bigel, Jean-Claude Fall, Jean-Marc Bourg, Dag Jeanneret, Gilles Dao, des pièces d’auteurs classiques ou contemporains. En tant que metteur en scène, il signe depuis le début des années 1990 des spectacles forts et singuliers qui puisent dans le théâtre comme dans la poésie (Plinio Marcos, Daniel Lemahieu, Eugène Durif, Fernando Pessoa, Ossip Mandelstam, Alexandre Block, Karl Marx…) Pour sa première mise en scène à la Comédie-Française, il souhaite avec ce conte d’Andersen aussi bref (quatre pages) que fulgurant, faire une véritable parabole sur le pouvoir, la servitude volontaire, l’égoïsme, le conformisme, la lâcheté, et la bêtise, et produire la vision drôle et pathétique d’une humanité réduite par ses obsessions à s’étourdir dans son propre mouvement.
Les Habits neufs de l’empereur de Hans Christian Andersen
Traduction de Régis Boyer
Mise en scène de Jacques Allaire
Avec Michel Favory, le Premier Ministre
Alexandre Pavloff, l’Empereur
Adrien Gamba-Gontard, un voleur
Félicien Juttner, un voleur
Julie-Marie Parmentier, l’Impératrice
Et Elmano Sancho, un sujet
et les élèves-comédiens de la Comédie-Française : Armelle Abibou, Antoine Formica, Marion Lambert, Ariane Pawin, François Praud, les sujets
Scénographie, Dominique Schmitt et Jacques Allaire
Lumières, Éric Dumas
Réalisation sonore, Céline Bakyaz et Jacques Allaire
Pour la première fois à la Comédie-Française.
Durée:1h15
du 25 novembre 2010 au 9 janvier 2011
Représentations au Studio-Théâtre :
du mercredi au dimanche à 18h30
Prix des places : de 9 € à 18 €
Renseignements et location : par téléphone au 01 44 58 98 58 du mercredi au dimanche de 14h à 17h, sur le site Internet www.comedie-francaise.fr
on retrouve dans cette mise en scene toute l’ atmosphere du dessin animé « le roi et l’oiseau » par les silences et les quelques monologues a peine prononcés. Très beau mais on s’endort un peu : le rôle de l’imperatrice ne sert finalement à rien.
Je suis allé voir cette pièce au Studio-Théâtre de la Comédie-Française fin 2010. Spectacle plutôt féerique, présenté dans une mise en scène intéressante. A mettre en parallèle, pour les intellos, avec « le Roi nu », pièce de 1934 écrite par le dramaturge russe Evgueni Schwartz, qui s’inspire du conte d’Andersen.
J’ai tout de même ressenti nettement un fort trouble dans le public, extrêmement gêné quand Alexandre Pavloff doit se retrouver totalement nu sur scène, face aux spectateurs. Un quadra comme lui, grand acteur de théâtre, surtout classique, qui s’expose à ce point devant le public, en partie composé de jeunes et d’enfants… On le sentait d’ailleurs mal à l’aise.