Avec La Scortecata, l’artiste palermitaine Emma Dante signe une fable singulière qui traite de la vieillesse avec plein de vitalité.
Avant la longue et grise traversée kafkaïenne promise par Krystian Lupa, c’est un spectacle bref et vivifiant qui lance la nouvelle édition du Printemps des comédiens : la toute nouvelle pièce d’Emma Dante, créée au festival de Spolète en Italie et donnée pour la première fois en France au hTh, le cendre dramatique de Montpellier, où la metteure en scène est artiste associée.
Librement inspiré d’un conte de l’auteur napolitain Giambattista Basile extrait de son recueil le Pentamerone, le récit issu de la tradition orale du Sud de l’Italie met en scène deux sœurs quasi centenaires. Elles sont laides et l’ont toujours été mais imaginent non sans crédulité pouvoir paraître belles et jeunes et séduire le roi. Sur scène, elles paraissent vieillies et décrépites, parées de nuisettes élimées et d’informes bas nylon, sorte de lambeaux d’une obsolescente coquetterie. C’est d’ailleurs sans concession que les interprètes, masculins, pliés en deux, miment jusqu’à la singerie les tremblotements, le raidissement comme l’affaissement de leurs silhouettes caduques.
Carolina et Rusinella sont formidablement campées par Salvatore D’Onofrio et Carmine Maringola, deux acteurs qui, travestis ou même à demi-nus, s’affichent sous la chaleur écrasante d’une bardée de projecteurs comme de luisantes bêtes de foire. Virilité et sensualité transpirent de leurs corps entre deux âges, délicieusement bouffons mais d’une rigoureuse exactitude dans la composition. Le rapport aux corps – déshabillés, malmenés, transgressés – occupe toujours une place importante dans le travail libre et sauvage d’Emma Dante ; ici encore, s’impose une impressionnante et endurante physicalité.
A l’expansivité d’un jeu plein de fantaisie et d’inventivité, s’ajoute la truculence d’un texte à la trivialité joyeuse, notamment dans les vertes invectives échangées entre les deux commères.
Plus qu’un conte de fées perverti, la pièce est un condensé de tradition populaire italienne, rappelant la Commedia dell’arte et le théâtre de tréteaux. Dans une forme modeste, d’un extrême dépouillement, Emma Dante orchestre un formidable théâtre d’acteurs. Tout repose sur le jeu. Il faut voir et admirer la maîtrise totale de son duo virtuose qui livre une formidable et frénétique pantomime juste autour de deux chaises, un tabouret et une cantine, sorte de clin d’œil strehlerien aux comédiens ambulants de l’époque classique.
Si le travail d’Emma Dante pêche parfois d’un excès de démonstration tendancieuse, il est ici à la fois outré et saisissant de vérité. L’artiste y sait mieux qu’ailleurs parler des causes désespérées. La pièce fait beaucoup rire mais dit aussi des choses profondes sur nos angoisses existentielles et nos aspirations contrariées. Le culte de la jeunesse, le diktat de l’apparat, y sont vilipendés comme est pointée l’extrême solitude face aux ravages du temps qui passe et qui effrite dans un final cruellement pathétique et anti-moraliste où s’invite sans polémique le délicat sujet de la fin de vie choisie. Le drame côtoie la farce avec art et flamboyance.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
La Scortecata
Librement adapté de lo cunto de li cunti de Giambattista BasileTexte et Mise en scène : Emma Dante
Avec : Salvatore D’Onofrio, Carmine Maringola
Eléments scéniques et costumes : Emma Dante
Assistante à la production : Daniela Gusmano
Assistant à la mise en scène : Manuel Capraro
Lumières : Christian Zucaro
Surtitrage : Franco Vena
Coordination et diffusion internationale : Aldo Miguel Grompone, Roma
Photos : Festival di Spoleto / ph.MLAntonelli-AGFProduction : Festival di Spoleto 60, Teatro Biondo di Palermo, en collaboration avec Atto Unico / Compagnia Sud Costa Occidental
Spectacle en Napolitain ancien, surtitré en Français. Durée : 1hThéâtre national de la Colline
du 17 juin au 28 juin 2023 au Grand Théâtre
du mercredi au samedi à 20h30 (excepté samedi 17 juin à 18h),
le mardi à 19h30 et le dimanche à 15h30 (excepté dimanche 18 juin à 18h)
spectacle en napolitain surtitré en français présenté en alternance avec Pupo di Zucchero
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