Malaise dans la civilisation? Près de 90 ans après la parution de l’un des ouvrages cultes de Sigmund Freud, le père de la psychanalyse est encore à l’affiche du Théâtre de la Ville et du festival Chantiers d’Europe du 14 au 30 mai 2018. Il faut dire qu’en dépit des progrès de l’intelligence artificielle, l’inconscient n’a pas encore fini de livrer tous ses secrets. Tant mieux pour le théâtre et pour la danse….
Malaise dans la civilisation, donc, et plus précisément dans la civilisation européenne, qui ne parviendrait pas à surmonter la mélancolie d’une grandeur déchue. Pedro Penim, l’un des animateurs du Teatro Praga à Lisbonne, entreprend ce diagnostic à partir d’un dialogue (caustique) entre un psychanalyste et… un tyrannosaure! La Grecque Lena Kitsopoulou, pour sa part, met en lambeaux le mythe d’Antigone, à une époque où les petites tragédies personnelles font le miel des reality shows. Entre survivance des États-nations et enjeux universels (dont l’urgence climatique n’est pas le moindre), l’Europe semble naviguer à vue, sans cap. Ainsi serions-nous déboussolés par la question des migrants. Mais de quelle « invasion » parlent certains? Les Catalans d’Agrupación Señor Serrano en font le sujet d’une fresque animée et filmée en direct, tandis que l’Exil Ensemble réunit un groupe d’acteurs permanents originaires d’Afghanistan, de Syrie et de Palestine et les embarque –avec Yael Ronen, metteure en scène en résidence au Gorki à Berlin –dans un drôle de voyage à travers l’Allemagne. L’Europe n’a pas été exempte de ces conflits qui génèrent aujourd’hui de nouveaux flux de réfugiés.
Avec la compagnie Hotel Europa, André Amálio questionne le passé politique et colonial du Portugal, longuement implanté en Angola et au Mozambique. Et lorsque le général Franco a pris le pouvoir, les républicains espagnols ont afflué en masse en France. La compagnie La Tristura revient ainsi sur l’une des pages les plus sombres du franquisme: quelques 300000 bébés furent « volés » en près d’un demi-siècle! Lorsque la lumière du dehors est trop crue, le refuge obscur d’une grotte peut être libérateur, ainsi que le montre Edurne Rubio, en souvenir d’un groupe de spéléologues dont fit partie son propre père. La danse, de son côté, découvre aussi des espaces qu’elle vient habiter, comme Annamaria Ajmone qui se produira dans la cour des Abbesses; Tânia Carvalho sur la surface de l’écran de projection; Roberto Castello au plus vif d’expressions archaïques que la modernité n’aurait pas digérées; ou encore Marco D’Agostin dans un flux volontairement saturé de paroles et de gestes. Quant au collectif (La) Horde, il ignore joyeusement les frontières avec le sésame énergique du jumpstyle, qui a trouvé sur YouTube et d’autres réseaux sociaux son propre moyen de propagation. Bref, le passé est incertain, et l’avenir reste à pourvoir. Dans cet entre-deux, faisons table d’hôtes du présent, et archipel d’expressions au croisement du réel et des fictions imaginées, comme y invite Chantiers d’Europe…
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