Le projet corrosif de Rodrigo García, metteur en scène hispano-argentin connu pour ses invectives poétiques, est tout entier contenu dans le nom de sa compagnie. Le Carniceria Teatro (La Boucherie – Théâtre), basée à Madrid, entend démembrer les moindres préceptes de la dramaturgie traditionnelle à l’aide d’un ustensile dont elle a la maîtrise : un plateau proche de la performance, où les corps, alertes, jouent leur propre sidération face au monde contemporain. Contre un théâtre capitonné, « mort, avec des textes morts, pour un public mort, sans âme » qui abdique, selon Rodrigo García, devant un spectaculaire marchand, une logique publicitaire et un star system pornographe, il impose depuis 1989 un discours nerveux et des chairs à vif. Moins éruptif et plus intimiste que ses manifestes Et balancez mes cendres sur Mickey (2007) ou Versus (2009), sa nouvelle création, C’est comme ça et me faites pas chier, s’empare de l’élément fondamental de la dramaturgie occidentale : la parole. Dans cette ode au langage, qui mêle pensées philosophiques et description des fresques de Masaccio, l’acteur aveugle Melchior Derouet endosse les heurts des mots pour révéler leur inaptitude puissante, tragique à saisir le réel. Face aux spectateurs qui, comme souvent chez lui, sont moins sensibilisés que responsabilisés, Rodrigo García réactive la figure ancestrale du voyant capable de guider les individus entre de nouveaux leurres, produits en masse.
Rodrigo García
C’est comme ça et me faites pas chier
texte, mise en scène et espace scénique,
traduction, Christilla Vasserot
musique, Daniel Romero Calderón
création lumière, Carlos Marqueríe
vidéos, Ramón Diago
assistanat à la mise en scène, John
direction technique, Ferdy Esparza
régisseur de plateau, Jean-Yves
technicien son, Joël Silvestre
avec,
Melchior Derouet,
Nuria Lloansi,
Daniel Romero Calderón
Production La Carniceria Teatro (Madrid) ; Bonlieu
Coproduction Théâtre de Gennevilliers
Coréalisation Festival d’Automne à Paris
durée : 1h30
Du 28 janvier au 15 février 2015
Ce dernier opus de Rodrigo Garcia parait en effet bien apaisé au regard de ces dernières oeuvres sulfureuses. Mais c’est bien du Rodrigo Garcia, dans sa façon d’installer des scènes, pour ne pas dire des actions, qui relèvent bien souvent de la performance, créant un décalage, comme toujours, entre le texte et le visuel. Une dimension poétique supplémentaire se glisse ici, comme avec la très belle dernière scène.