S’inspirant de diverses versions du Chaperon Rouge, Edith Amsellem en fait un spectacle en lieu public sur la condition féminine. Au dispositif ingénieux mais au propos quelque peu simpliste.
Après des terrains multisports pour ses Liaisons dangereuses (2011) et des espaces de jeux pour enfants avec châteaux-toboggans pour son Yvonne, princesse de Bourgogne (2015) d’après Witold Gombrowicz, ce sont des parcs qu’investit Edith Amsellem pour J’ai peur quand la nuit sombre. N’importe lesquels, pourvus qu’ils soient déserts la nuit, et assez éloignés des théâtres qui programment la pièce.
Lors de sa création à Marseille, du 23 au 26 mai 2018, c’est par un voyage que s’ouvrait cette très libre adaptation du célèbre conte populaire Le Petit Chaperon Rouge. Après un trajet en navette partant du Centre Dramatique National La Criée ou de la scène nationale Le Merlan, qui ont coproduit et programmé ensemble le spectacle, c’est donc dans un état d’esprit particulier que l’on découvrait l’ingénieux dispositif imaginé par la metteure en scène et son équipe, et installé dans un petit parc des quartiers Nord. Dans une perspective d’autant plus exploratrice que, nous a-t-on prévenus, cette pièce n’est pas pour les enfants.
Dans des habitations symbolisées par d’élégants assemblages de fils rouges conçus par Aude Amédéo, les comédiens Laurène Fardeau et Lou Montézin (les deux chaperons rouges), Laurence Janner (la grand-mère), Anne Naudon (la mère) ainsi que Yoann Boyer (le loup) sont d’abord des présences muettes. Des éléments parmi d’autres d’une installation plastique autour de laquelle le public est invité à déambuler. J’ai peur quand la nuit sombre se place ainsi sous le double signe du désir et du trouble. Il se présente comme une invitation à pénétrer, littéralement, les significations profondes du conte grâce à un bouleversement des codes de représentation.
S’appuyant non seulement sur ses versions les plus connues – celles de Perrault et des frères Grimm -, mais aussi sur d’autres déclinaisons du conte dans la tradition orale, Edith Amsellem propose en effet une réécriture qui se veut explosive. Loin de l’adaptation de Joël Pommerat, qui s’attachait à conserver l’implicite des contes de Perrault et de Grimm concernant le désir et la peur de grandir, la sexualité, la solitude ou encore la peur de la mort, J’ai peur quand la nuit sombre les formule aussi clairement que Bruno Bettelheim, auteur de Psychanalyse des contes de fées. La subtilité de l’analyse en moins.
Divisé en quatre séquences que l’on est libre d’observer à partir du lieu de notre choix, la qualité du récit d’Edith Amsallem est en effet en deçà de la forme du spectacle. Laquelle apparaît alors comme étant plus séduisante que porteuse de sens. Davantage conçue dans une logique festivalière – le dispositif s’inscrit idéalement dans une programmation d’arts de la rue – que comme une tentative de repenser en profondeur le rapport entre comédiens et spectateurs. De même qu’entre réel et fiction.
Le désir d’Edith Amsallem de faire du Petit Chaperon Rouge la base d’une réflexion sur la condition féminine était pourtant prometteur. Dits au micro dans une adresse directe, avec un débit proche du slam, les textes qui évoquent les trois âges de la vie d’une femme – l’adolescence, la maturité et la vieillesse – peinent hélas à s’élever au-delà des lieux communs. Avec un loup prédateur sexuel et un Chaperon Rouge ado précoce, J’ai peur quand la nuit sombre met en scène des archétypes qui auraient gagné à être plus clairement avoués comme tels. Reste la belle énergie des comédiens. Leur jeu très physique, qui fait rêver à ce qu’aurait pu être ce rendez-vous avec le loup.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
J’ai peur quand la nuit sombre
Adaptation et mise en scène Edith Amsellem
D’après les versions du Chaperon rouge issues de la tradition orale
Avec Yoann Boyer, Laurène Fardeau, Laurence Janner, Lou Montézin, Anne Naudon
Création sonore et musique : Francis Ruggirello
Scénographie : Edith Amsellem, Laurent Marro, Charlotte Mercier, Francis Ruggirello
Création costumes : Aude Amédéo
Travail autour du tricot : Charlotte Mercier
Coiffures et maquillages : Geoffrey Coppini
Régie générale : Laurent Marro
Régie son : William Burdet
Production : ERD’O
Coproduction : Le Merlan scène nationale de Marseille, La Criée, Théâtre national de Marseille, Le Pôle Arts de la Scène – Friche la Belle de Mai (Marseille), Le Théâtre de Châtillon, La Passerelle scène nationale de Gap, Le Citron Jaune – Centre National des Arts de la Rue, Lieux Publics Centre National de Création en espace public Accueil en résidence La Gare Franche, La Ferme de la Colle – Begat Theater – Gréoux-les-Bains Avec le soutien de la DGCA – Ministère de la Culture et de la Communication, la Ville de Marseille, la DRAC PACA, le Département des Bouches-du-Rhône – Centre départemental de création en résidence.
Pour les saisons 15/16, 16/17 et 17/18, ERD’O bénéficie du soutien du Merlan scène nationale de Marseille dans le cadre de son dispositif La Ruche, cellule d’accompagnement de compagnies émergentes de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur.30 et 31 octobre 24
La Filature- scène nationale – Mulhouse
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