Seul en scène corrosif, « La loi des prodiges » retrace la vie d’un politicien en guerre ouverte contre l’art et les artistes. François de Brauer s’y métamorphose en plusieurs dizaines de personnages avec une habileté déconcertante.
Rémi Goutard est l’archétype de l’homme politique que tout le monde aime détester. Avec ses airs de Père Fouettard, ce député n’a qu’une seule obsession : supprimer toute manifestation culturelle et annihiler les artistes pour les « réintégrer » dans une société qui les a trop longtemps entretenus, pense-t-il, dans leur vaine marginalité. Pour trouver la source de l’étrange rancœur de ce politicien heureusement fictif, François de Brauer retrace le cours de sa vie depuis son premier cri.
Avec une approche très psychanalytique, il déniche plusieurs écueils, comme autant de bouleversements émotionnels, qui ont pu nourrir ce détestable combat. Il y a d’abord cette figure paternelle vacillante et négligente, scénariste raté, qui le jour de sa naissance était prêt à se jeter du haut d’un pont plutôt que d’épauler sa mère à la maternité ; cette jeune femme, accroc aux musées, qui à l’âge adolescent a préféré admirer des tableaux plutôt que d’accepter son premier baiser ; et, surtout, ce traumatisme originel causé par Régis Duflou. Alors qu’il n’était encore qu’un enfant, Rémi Goutard a malencontreusement saccagé l’une de ses œuvres, un pot de yaourt géant symbole de la lutte contre la société de consommation, provoquant l’ire de ce plasticien vaniteux, source de sa détestation des artistes.
Avec deux chaises et quelques morceaux de musique sporadiques pour uniques compagnons, François de Brauer porte sur ses seules épaules tout le poids de ce one-man-show schizophrénique. Et quelles épaules ! Caméléon théâtral, le comédien se métamorphose en plusieurs dizaines de personnages, capable de faire dialoguer un gynécologue flegmatique avec une mère en train d’accoucher, un présentateur obsédé par l’audimat avec un artiste roumain qui prend ses testicules pour des bolas, un politicien obsédé par la dette avec un manifestant aux slogans éculés. Grâce à son jeu d’une extrême justesse, il évite de sombrer dans un registre caricatural mortifère et s’appuie sur un ton identifiable, une mimique cocasse ou des salves de mots bien senties pour provoquer les rires de la salle. A la fois ventriloque et marionnettiste de lui-même, il se sert de son corps comme d’un atout pour mimer les objets environnants et reproduire les bruits alentours.
Toujours à la limite de l’absurde, les deux pieds solidement ancrés dans un univers loufoque, le texte, construit à partir d’improvisations autonomes, trouve sa cohérence grâce à l’écriture quasi-cinématographique de François de Brauer. Découpé en cinq séquences de vie, il abrite des figures comme le clown marginal ou le prétentieux plasticien Régis Duflou qui, tels des gimmicks, reviennent hanter Rémi Goutard à intervalles réguliers. Aussi déjanté soit-il, le spectacle ne se prive pas d’égratigner, avec une certaine finesse, les politiciens aux considérations purement budgétaires, les artistes à l’égo surdimensionné ou l’abrutissante vacuité de certains divertissements télévisés, tous malheureusement bien réels. On pourra simplement regretter qu’en se focalisant sur les racines psychologiques de cette haine intime de l’art et des artistes, François de Brauer n’explore pas davantage la dimension politique d’un tel parti-pris.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
La loi des prodiges
Écriture et interprétation : François de Brauer
Collaboration artistique : Louis Arene et Joséphine Serre
Lumières : François Menou
Costumes : Christelle AndréProduction Les Petites Heures ; en coréalisation avec le Théâtre de la Tempête.
Avec le soutien de Jean-Michel Ribes et le Théâtre du Rond Point, Véronique Deshaires et le Théâtre de l’Atelier, le Théâtre Firmin Gémier/la Piscine – Châtenay Malabry, Martine Spangaro et le Théâtre du Petit Louvre – Avignon, le Jeune Théâtre National, et la MC 93 – Bobigny.Durée : 1h40
La Scala
du 10 janvier au 2 février 2020
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