L’écriture explosive d’Aleshea Harris arrive en France avec Fore !

photo Sonia Barcet

Arnaud Meunier frappe un grand coup en montant Fore ! de l’américaine Aleshea Harris. Une commande pour les anciens élèves du CalArts – California Institute of Arts de Los Angeles et de l’École de la Comédie de Saint-Etienne. La pièce dresse le portrait d’un monde en crise dans un style brut et direct.

Aleshea Harris est une performeuse du « spoken words » (c’est l’équivalent du slam), elle a été récompensée par le prix « Relentless Award » pour sa dernière pièce Is God Is qui triomphe actuellement dans le Off-Broadway au Soho Repertory Theatre. Elle est encore inconnue en France. Arnaud Meunier, le directeur de la Comédie de Saint-Etienne l’a rencontrée en 2013 lors d’une de ses premières visites au CalArts, elle n’était alors encore qu’étudiante. Elle est venue à Saint-Étienne en résidence, écrivant une première pièce pour les élèves de l’école. Puis en mars 2016 lors de plusieurs ateliers, Arnaud Meunier et Aleshea Harris échangent sur leurs souvenirs du 11 septembre 2001. Et petit à petit est née l’écriture de cette saga politico-poétique avec comme toile de fond les peurs qui nourrissent la société d’aujourd’hui. Et puis est arrivé Donald Trump, autre genre de peur pour le peuple américain, et notamment pour les afro-américains.

Valentin Clerc @ Sonia Barcet

Fore ! raconte la vie de deux familles. Celle du bas s’appelle les Atrides, avec la mère Clytemnestre, le père Agamemnon et le fils Oreste – un brin secret mais qui refuse l’ordre établi et ramène à la maison Jackie, une jeune fille toute aussi mystérieuse que lui. La famille du haut, les Halburton, est coupée du monde face au chaos qui règne à l’extérieur. Elle est dirigée par Edward un homme de pouvoir dont la femme Doreen a été blessée par balle par un fou. Anne, la fille, tire sur tout ce qui bouge en criant Fore ! La pièce est découpée par épisode, comme pour une série, on passe de l’un à l’autre, de bas en haut d’un décor à deux étages, dans un va et vient cinématographique.

Cette comédie humaine grinçante et dérangeante lorgne parfois avec la tragédie grecque. Mais c’est la tragédie du 21ème siècle que raconte Aleshea Harris, celle d’une Américaine déboussolée par l’arrivée de Donald Trump. Ses mots sont bruts, écorchés, à vif. Les personnages à fleur de peau sont désorientés. On sent le malaise d’une société gangrénée par les armes à feu, par la guerre qui lave le cerveau des soldats de retour au pays et par l’oppression des puissants sur les faibles.

@ Sonia Barcet

Le style de la pièce peut désorienter mais il convient de faire abstraction de tous les codes de la dramaturgie européenne pour entrer dans cet univers qui oscille entre la fantasmagorie et le réalisme. C’est un théâtre d’aujourd’hui, avec une narration proche du storytelling des séries télévisées, dont les américains sont les maitres. Arnaud Meunier parvient à transformer la parole rageuse d’Aleshea Harris en un spectacle éclairant sur la société d’aujourd’hui avec des jeunes artistes venus du monde entier (France, Etats-Unis, Italie, Hong-Kong, Philippines, Taïwan, Turquie…). La pièce est jouée en anglais et il est bien difficile de coller une nationalité aux comédiens, tous magnifiquement investis dans ce projet transatlantique. Le soir de la première à la Comédie de Saint-Étienne, les adolescents très nombreux ont été les plus réceptifs au spectacle, réservant une standing ovation à l’équipe. Pari gagné pour Arnaud Meunier qui souhaite placer la jeunesse au cœur de la nouvelle Comédie de Saint-Étienne. Dans la grande salle Jean Dasté, la scénographie a toute sa place; on craint qu’elle ne perde un peu de sa magie dans des salles plus petites, et notamment au Théâtre des Abbesses du Théâtre de la Ville, prochain lieu de la tournée.

Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr

Fore ! texte Aleshea Harris | metteur en scène Arnaud Meunier | assistante à la mise en scène et à la dramaturgie Pauline Panassenko* et Parelle Gervasoni | collaborateur artistique Nicolas Marie | avec Tamara Al Saadi, Preston Butler III, Valentin Clerc*, Margaux Desailly*, Luca Fiorello*, Cordelia Istel, Matthew Kelly, Cemre Salur, Guillaume Trotignon*, Reggie Yip | scénographie Carlo Maghirang | lumière Nicolas Marie et Aurélien Guettard | son Patrick De Oliveira | costumes Angela Trivino | vidéo Eugene Yen | perruques et maquillage Cécile Kretschmar | régie générale Thomas Chazalon | avec le soutien à la traduction de Christine et Kenneth Casler | construction décor et costumes Ateliers de La Comédie de Saint-Étienne

* issus de L’École de la Comédie

production La Comédie de Saint-Étienne – CDN
en partenariat avec CalArts Center for New Performance – Los Angeles

avec le soutien de L’École de la Comédie de Saint-Étienne / DIESE # Auvergne-Rhône-Alpes, de l’Institut Français et de la Ville de Saint-Étienne
Durée: 1h45

création le 27 février 2018 à La Comédie de Saint-Étienne
Création à La Comédie de Saint-Étienne – Centre dramatique national | du 27 fév. au 2 mars 2018
Théâtre de la Ville – Les Abbesses, Paris | du 6 au 10 mars 2018
Théâtre National de Nice | 14 et 15 mars 2018
Théâtre National de Bruxelles | du 29 au 31 mars 2018