Pour aborder la question de la filiation, Anne Théron s’associe à l’auteure Alexandra Badea. Fiction où l’intime rejoint le politique et la sociologie, À la trace s’inspire des codes du polar pour interroger le féminin et la solitude contemporaine. Une enquête captivante.
D’abord, il y a une vieille femme (Maryvonne Schiltz) dans un rocking chair. Elle apparaît quelques secondes, juste assez pour qu’on ne l’oublie qu’à moitié, se balance un peu et est avalée dans l’obscurité. Dans une des cases du building qui fait office d’écran et de mur de fond. Ensuite, il y a Clara (Liza Blanchard), jeune femme à l’allure de globe-trotteuse qui se lance à la recherche d’une certaine « Anna Girardin », nom découvert sur une carte électorale le jour de la mort de son père, au fond d’un sac à main abandonné à la cave. Avant que les deux personnages se retrouvent, À la trace fera bien des détours. S’arrêtera sur bien des histoires, dont l’assemblage forme une passionnante mosaïque qui s’étend sur trois générations.
Dans ce spectacle créé au Théâtre National de Strasbourg dont elle est artiste associée, Anne Théron poursuit donc son travail sur l’intime et sur la mémoire. Avec un intérêt particulier pour le féminin, au cœur notamment de ses deux dernières créations, Ne me touchez pas (2015), libre adaptation des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, et Celles qui me traversent (2016), poème chorégraphique sur le double. Cette fois, c’est l’idée de filiation qui l’intéresse. Les manières dont une femme d’aujourd’hui peut vivre la maternité. Ce qu’elle peut transmettre. Pour aborder ces questions, elle fait pour la première fois appel à une auteure : Alexandra Badea, connue pour son écriture au plus près des réalités sociales et économiques de notre siècle. La rencontre avait l’audace du pari. À la trace le remporte haut la main.
Entre la quête métaphysique et le polar, le texte d’Alexandra Badea déplace les habitudes de mise en scène d’Anne Théron sans la bousculer. Et réciproquement. Définis par leur parole et leur jeu singuliers autant que par les liens qui les unissent entre eux, les personnages féminins de À la trace sont au carrefour de l’intime et du politique. À un endroit de grand risque. De grande fragilité. Interprétés par un formidable quatuor de comédiennes mis en valeur par une équipe technique impliquée dans toutes les étapes du projet, ils avancent dans un labyrinthe solitaire. À la recherche d’eux-mêmes. Sous les traits de Judith Henry, les quatre Anna Girardin que rencontre Clara au gré de ses voyages – comme Pulvérisés d’Alexandra Badea, À la trace est une fiction transfrontalière – y occupent une place centrale. De même qu’Anna, incarnée par une Nathalie Richard excellente en écorchée pudique, elle aussi en déplacement permanent. En fuite.
Si Anne Théron n’est pas la seule à s’inspirer des codes du cinéma et de la littérature de genre – Tiphaine Raffier le fait par exemple avec la science-fiction dans France-fantôme, et Marc Lainé avec le cinéma d’horreur dans Hunter – elle le fait d’une manière bien personnelle. En mettant l’intime au cœur d’un dispositif dont la dimension cinématographique ne s’arrête pas aux vidéos qui ponctuent le spectacle. Toutes équipées de micro HF, entre le building-écran et le plateau, les quatre comédiennes évoluent en effet dans un entre-deux qui élargit la question féminine à un problème plus large : celui des relations humaines à l’ère du numérique et des réseaux sociaux. Des sites de rencontre aussi, grâce auxquels Anne entretient des relations à distance avec des inconnus – Yannick Choirat, Alex Descas, Wajdi Mouawad et Laurent Poitrenaux, qui apparaissent dans des films. Chez Anne Théron et Alexandra Badea, le féminin est au cœur des grandes questions contemporaines. Et de leur résolution.
Anaïs Heluin
A la trace
Texte Alexandra Badea
Mise en scène Anne Théron
Avec Liza Blanchard, Judith Henry, Nathalie Richard, Maryvonne Schiltz
Et la participation filmée de Yannick Choirat, Alex Descas, Wajdi Mouawad, Laurent Poitrenaux
Collaboration artistique Daisy Body
Scénographie et costumes Barbara Kraft
Lumière Benoît Théron
Son Sophie Berger
Image Nicolas Comte
Monteuse Jessye Jacoby-Koaly
Régisseur général, lumière et vidéos Mickaël Varaniac-QuardOnt participé au tournage du film :
Figurants du film (élèves de l’École du TNS) Romain Gillot Raguenau, Elphège Kongombe Yamale
Maquilleuse Marie-Laure Texier
Ingénieur du son Jeff Grosdemange
Électricien Marc-Antoine Modol
Régisseuse Johanna Boyer-DiloloAnne Théron et Laurent Poitrenaux sont artistes associés au TNS
Le décor et les costumes sont réalisés par les ateliers du TNS
L’Arche est agent théâtral du texte représentéProduction Théâtre National de Strasbourg, Compagnie Les Productions Merlin
Coproduction La Passerelle – Scène nationale de Saint-Brieuc, Comédie de Béthune − Centre dramatique national, La Colline − théâtre national, Célestins-Théâtre de Lyon
Avec le soutien du T2G-Théâtre de Gennevilliers – Centre dramatique national de création contemporaine
La compagnie Les Productions Merlin est conventionnée par le ministère de la Culture et de la Communication, la DRAC Nouvelle Aquitaine et la Région Nouvelle Aquitaine
Création le 25 janvier 2018 au Théâtre National de Strasbourg
Durée: 2h30Théâtre National de Strasbourg du 25 janvier au 10 février 2018
Saint-Brieuc les 20 et 21 février 2018 à La Passerelle – Scène nationale
Lyon du 28 février au 3 mars 2018 aux Célestins
Béthune du 20 au 23 mars 2018 à la Comédie de Béthune
Centre dramatique national Grenoble du 24 au 27 avril 2018 à la MC2: Grenoble – Scène nationale
Paris du 2 mai au 26 mai 2018 à La Colline – théâtre national
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