Avec plus d’une cinquantaine de mises en scène à son actif, Robert Lepage est de ces artistes aguerris qui se renouvèlent sans cesse. Invité à Paris depuis le début des années 1990, au Festival d’Automne et à la MAC de Créteil, parfois longuement absent des théâtres car il collabore à des opéras et des concerts. Cet été, Robert Lepage est au cœur d’une polémique au Canada qui a entraîné la suppression de deux de ses spectacles : SLAV et Kanata qu’il devait mettre en scène en décembre avec les comédiens du Théâtre du Soleil. Mais Robert Lepage reste un fabuleux technicien de l’imaginaire.
La France, et plus précisément Paris, découvrent véritablement Robert Lepage lors de l’édition 1992 du Festival d’Automne. Pas moins de cinq spectacles du jeune canadien sont à l’affiche de la prestigieuse manifestation. La couverture médiatique est exceptionnelle : Le Nouvel Observateur, Télérama, Libération, Le Figaro ouvrent leurs colonnes à ce nouveau metteur en scène en vue. A cette époque, La Tribune proclame qu’il est « une révélation comme on en rencontre tous les dix ans ». Près de 20 ans plus tard, en 2009, les neuf représentations du Dragon bleu se jouent à guichet fermé dans la grande salle de Chaillot : 900 spectateurs par soir se succèdent.
Artiste multiple et symbole du touche-à-tout technique et technologique, il est mû par ce que Libération qualifie en 2015, d’une envie de « creuser toujours plus profond pour mettre à jour les récits originaires » et notamment ceux de son art. Le Monde, en 1992, voit dans son spectacle Le Polygraphe, un « miroir du théâtre tendu aux arts plastiques ».
La racine du théâtre comme un écho à ses propres origines ? Robert Lepage est bien souvent le héros principal de ses créations. Karen Fricker relève dans Globe, en 2008, que les « productions scéniques de Lepage sont marquées par une tension entre le local et l’universel ». Sans doute pouvons-nous voir en la personne du metteur en scène une humanité déployée. Il est Pierre Lamontagne dans La Trilogie des Dragons et Le Confessional, il est Philippe dans Vinci et La Face cachée de la lune ou encore Robert dans Les Aiguilles et l’opium, de Jacques/Jennifer dans Les Plaques tectoniques et de Frédéric dans Le Projet Andersen, entre autres.
La représentation de la société québécoise contemporaine revient régulièrement dans ses spectacles, voire même sa propre histoire comme c’est le cas dans 887. Plus généralement, comme le relève Le Monde en 2013, il offre « la vision d’un monde occidental aspiré par le vide existentiel », à l’image d’une partie de la Chine dépeinte dans Le Dragon bleu, création qualifiée de « reportage ». A propos de la Belle Province, il souligne l’ignorance de ses compatriotes vis-à-vis de leur propre histoire.
Le théâtre « classique » n’est pas autant absent de l’œuvre de Lepage. Il s’est attaqué à Brecht, Dürrenmatt et surtout Shakespeare, dont trois pièces qu’il avait mises en scène étaient programmées en 1992 dans le cadre du Festival d’Automne. L’écriture collective, au plateau, reste cependant la forme du texte la plus adoptée par Lepage. Il laisse une large place à l’improvisation, à la réécriture presque quotidienne pour certains de ses spectacles.
Dans ces conditions, la forme est la partie la plus importante des créations de l’artiste. Libération remarque que « Lepage multiplie les dispositifs ingénieux, jouant sur les effets d’échelles entre théâtre d’objets et usage de la vidéo » au détriment parfois du texte. L’artiste semble poursuivre une quête d’onirisme et de merveilleux, gorgée de poésie, n’hésitant pas à laisser s’exprimer seulement les images en musique, sans que l’acteur intervienne. Il n’a pas honte de recourir à des artifices parfois presque « hollywoodiens » pour exprimer les émotions.
Comme il peut parfois être à l’écran derrière la caméra, Lepage inclut aussi du cinéma dans son théâtre. En 1992 Le Monde remarque les « clins d’œil vers le cinéma épique japonais », dans le même quotidien, on souligne son utilisation de « toutes les techniques réputées cinématographiques : plans larges, rapprochés, gros plans ou plans en plongée, du jamais vu en scène » à l’époque. Jean-Pierre Thibaudat écrit dans Libération que le 7e art est « l’humus » du metteur en scène.
Autre élément important de son esthétique, finalement multiple, est le recours systématique et abondant aux nouvelles technologies. Ludovic Fouquet souligne dans l’œuvre de Lepage l’importance de la « technologie rapportée ». Le mot revient sans cesse, on parle d’une « vraie prouesse technologique » pour le spectacle Jeu de Carte 1 : Pique ou d’une « technique d’une fluidité sidérante ». Dans la presse française, il est qualifié de « magicien » et de « maître des illusions ».
Ces effets souvent enchanteurs n’empêchent pas Lepage d’entretenir un lien sensible avec l’intime comme avec La Face cachée de la lune créé en 2001 et que l’on a puy revoir cette saison à la Villette. En partie autobiographique, c’est néanmoins un autre que lui qui interprète son histoire, il s’agit du québécois Yves Jacques.
Hadrien Volle – www.sceneweb.fr
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