Un Nain terriblement humain

Le Nain photo Frédéric Iovino

Le nouveau directeur du Centre Dramatique National de Gennevilliers Daniel Jeanneteau signe à Lille sa première mise en scène d’opéra avec Le Nain de Zemlinsky auquel il confère les atours d’une tragédie sociale et existentielle contemporaine où s’interroge la question de la laideur et du regard stigmatisant.

Malgré un début apparemment guilleret, c’est bien une tragédie que met en musique Alexander Zemlinsky inspiré par Oscar Wilde puisque le personnage éponyme, étrange cadeau reçu par l’Infante d’Espagne à l’occasion de son dix-huitième anniversaire, devient l’objet d’un jeu cruel et destructeur à la fin duquel il se voit révéler sa propre laideur.

La mise en scène d’une élégante sobriété mais d’une grande force dramatique ne surligne pas la difformité physique du nain simplement représenté comme un homme d’aujourd’hui à l’allure lambda. En jean, baskets, veste de survêtement, sans fioriture bouffonne, le ténor Mathias Vidal se montre parfaitement crédible et infiniment touchant dans un rôle si exigeant. Il engage tout son corps et le joli timbre de sa voix claire et un peu tendue dans les extrêmes hauteurs de la tessiture, au service de l’expression des élans amoureux fatalement déçus du personnage complètement humanisé.

Celui-ci débarque et dénote à la Cour strictement tenue par le Chambellan Estoban. Y prédomine la tonalité noire des tableaux de Goya et de Velázquez, des références picturales que revendique le metteur en scène également plasticien. Sur un tapis de terre calcinée, s’ébrouent des filles-fleurs en longs jupons munies de bâtons rappelant les thyrses des Bacchantes. Au centre du groupe, apparaît Clara, campée par Jennifer Courcier entre la femme et l’enfant, candide et piquante à souhait.

Sans pouvoir rendre compte de la plénitude sonore qu’impose le gigantisme orchestral de la composition d’origine, l’ensemble Ictus, formé d’une vingtaine de musiciens seulement, propose une réduction musicale qui parvient à restituer remarquablement les beautés d’une partition luxuriante aux accents straussiens. La direction de Franck Ollu met finement en valeur quantité de détails ciselés, de couleurs irisées, d’éclats et de mélancolie.

Onirique et glaçante, la production allie économie du geste et intelligence profonde pour mettre à nu les tourments intérieurs du nain. Lorsqu’un miroir vertigineux s’avance vers la salle, il réfléchit aussi bien la monstruosité du personnage que celle du regard excluant ou compatissant que porte sur lui une société privilégiée. La question soulevée dépasse alors le drame individuel pour donner à voir une forme d’hypocrisie et de cruauté sociales aussi malaisantes qu’édifiantes. Brève mais intense, la pièce, trop peu souvent montée, invite autant à la réflexion qu’à l’émotion.

Christophe Candoni – www.sceneweb.fr

Le Nain (Der Zwerg)
Alexander Zemlinsky (1871-1942)
Conte tragique en un acte (1922)
Livret de Georg C. Klaren librement adapté de L’Anniversaire de l’infante d’Oscar Wilde
Adaptation pour orchestre de chambre : Jan-Benjamin Homolka
Direction musicale Franck Ollu
Mise en scène et scénographie Daniel Jeanneteau
Lumières Marie-Christine Soma
Costumes Olga Karpinsky
Chef de chant et assistant à la direction musicale Nicolas Chesneau
Assistant à la mise en scène et à la scénographie Olivier Brichet
Avec
Le Nain Mathias Vidal
Donna Clara, infante d’Espagne Jennifer Courcier
Ghita, sa camériste préférée Julie Robard-Gendre
Don Estoban, chambellan Christian Helmer
Trois caméristes Laura Holm, Fiona McGown, Marielou Jacquard
Choeur de 8 compagnes
Adèle Carlier (soprano)
Alice Kamenesky (soprano)
Anne-Marine Suire (soprano)
Anne-Sophie Vincent (soprano)
Morgane Collomb (mezzo soprano)
Coline Dutilleul (mezzo soprano)
Anouk Molendijk (mezzo soprano)
Sofia Obregon (mezzo soprano)
Ensemble Ictus 18 musiciens
Coproduction 2017 Opéra de Lille, Opéra de Rennes, Fondation Royaumont, Théâtre de Caen
Durée : 1h20

Opéra de Lille
16, 18 et 20 novembre 2017

25, 27 et 29 mars 2018 à l’Opéra de Rennes
9 et 11 novembre 2018 au Théâtre de Caen