La doyenne des comédiennes françaises, Gisèle Casadesus, est décédée dimanche à l’âge de 103 ans, a annoncé sa famille à l’AFP dans la nuit de dimanche à lundi. « La grande actrice Gisèle Casadesus, sociétaire honoraire de la Comédie-Française, entourée de l’amour de ses proches, s’est éteinte paisiblement ce 24 septembre en son domicile parisien », a déclaré son fils, le chef d’orchestre Jean-Claude Casadesus. Gisèle Casadesus avait fêté avec bonheur ses 100 ans le 14 juin 2014 en publiant publie un livre de mémoires qui raconte une vie exceptionnelle – Le jeu de l’amour et du théâtre aux Éditions Philippe Rey. Elle nous avait reçu dans son appartement proche du Sacré Coeur et s’était prêtée au jeu de l’interview avec une facilité déconcertante. Celle qui a côtoyé Copeau, Jouvet, Bourdet, Barrault et bien d’autres aimait se plonger dans ses souvenirs et les faire partager. Un moment rare et une grande leçon.
Vous nous recevez dans votre appartement de la rue de Steinkerque que vous n’avez jamais quitté
Si pour quelques voyages et des tournées. Mais c’est vrai que j’ai toujours vécu dans l’immeuble dans lequel je suis née.
Vous êtes née sur le même palier ?
Non dans un autre étage, un autre escalier celui de droite et je vis dans l’escalier de gauche.
Vous êtes issue d’une sacrée famille d’artistes, vos parents étaient musiciens
Un plaisantin disait: « Chez les Casadesus on apprend ses notes avant ses lettres« . Dès que l’on était en âge de comprendre, on nous mettait au piano. J’ai fait du piano et de la harpe mais je ne voulais pas du tout faire une carrière musicale. Toute petite je disais: « Je ferai du théâtre et j’aurai des enfants« . J’ai pu réaliser mon rêve.
Et tout cela sans être allé une seule fois à l’école !
Oui c’est vrai. Cela intrigue et réjouit beaucoup mes petits-enfants et mes arrière petits-enfants. Mais je travaillais, j’avais un professeur. J’étais nulle en calcul, je ne sais pas compter. Mais j’étais passionnée de lecture.
Dans votre enfance vous rencontrez déjà beaucoup de personnalités, vous passez même un été chez Feydeau.
Feydeau je ne m’en souviens pas du tout, je le sais parce qu’on me l’a dit. C’était à la fin de la première guerre et mes parents avaient mis mon frère et moi chez Marianne Feydeau, donc j’ai du le croiser. Mais j’ai eu la joie des années plus tard d’interpréter ses pièces.
Votre premier prix au Conservatoire est un premier prix de comédie, ce qui n’est pas toujours très bien vu à l’époque.
Quand même un premier prix m’ouvrait les portes de la Comédie-Française et c’était la réalisation d’un rêve presque lointain.
Avant la Comédie-Française vous avez joué dans des compagnies, notamment en Alsace.
Avec des camarades du Conservatoire, nous allions jouer avec La compagnie du chariot qui avait des spectacles classiques pour les étudiants. C’était merveilleux. Cela m’a bien appris les rudiments.
Et puis il y a une expérience au début de votre carrière avec Pierre Fesnay dans un pièce au Théâtre Michel.
J’étais encore au Conservatoire, j’avais eu un second prix et j’avais été engagée pour reprendre le rôle de René de Villers qui devait tourner un film. J’étais très impressionnée. Il y avait une scène où il me renversait en arrière pour m’embrasser. Et alors il mettait mon pouce sur ma bouche, j’aimais autant cela mais il parait que cela se voyait. Des camarades me disaient: « On voit bien qu’il t’embrasse pas pour de vrai ! » J’aimais autant cela d’autant qu’il y avait Yvonne Printemps qui venait aux répétitions et mon futur mari était là.
Vous êtes engagée à la Comédie-Française en 1934 dans une typologie de rôle: « ingénue soubrette légère et utilité » !
C’était la formule du contrat que mon père a signé puisque j’étais encore mineure et pas encore mariée. C’est Emile Fabre, l’administrateur de l’époque qui nous a reçu et qui a dit à mon père « J’espère monsieur que vous avez de quoi la nourrir parce qu’ici elle va gagner très peu d’argent« . J’ai eu mon premier prix le 4 juillet 1934, j’étais engagée le 5 juillet et je me suis mariée le 10 juillet.
Dans le livre vous rendez un vibrant hommage à Edouard Bourdet qui a été un grand administrateur du Français et vous dîtes qu’en 36 il souhaitait déjà dépoussiérer la Comédie-Française.
Il avait beaucoup de goût. J’ai eu la chance de jouer beaucoup à son arrivée. Il a effectivement dépoussiérer l’institution en donnant la chance aux jeunes, c’est lui qui m’a nommée sociétaire très peu de temps après mon entrée.
Il y a une pièce qui a été important pour vous, c’est la création de la pièce de François Mauriac, Asmodée en 1938.
Cela a été une grande première. Je jouais la petite jeune fille qui voulait entrer au couvent et qui en fait s’est marié. C’était une très belle aventure. François Mauriac venait aux répétitions et il aimait être dans le noir pour nous observer.
Dans une mise en scène de Jacques Copeau
Oui il m’impressionnait beaucoup. Il avait connu mes parents autrefois juste après la guerre.
Et je crois que le soir de la première vous avez failli glisser sur la scène
Je devais sortir très vite de scène en courant mais j’avais des chaussures neuves qui ont glissé et j’ai été rattrapée de justesse par Jean Martinelli et l’administrateur lugubre m’a dit « J’espère que ce n’est pas un mauvais présage« . Dieu merci cela a été un gros succès.
En 1939 c’est votre première tournée au Brésil.
Avec un répertoire très varié. Quand on est revenu la guerre s’est déclarée sur le bateau du retour et l’atmosphère était pénible. C’était bouleversant.
La guerre arrive, la Comédie-Française ferme, et puis vous partez jouer auprès des militaires.
La Comédie-Française a rouvert assez vite, on jouait à 18h et il y avait beaucoup de monde.
Le titre de votre livre est emprunté à Marivaux, j’ai l’impression qu’il a été l’auteur de votre vie.
C’est vrai. Il a été très bénéfique pour moi. « Le jeu de l’amour et du hasard » je l’ai joué de nombreuses fois, je ne pourrai plus aujourd’hui, je suis trop veille. Mais je crois qu’on pourrait me réveiller en pleine nuit et me dire « Vite vite quelque chose » que je pourrai entrer facilement dans le rôle !
La raison de votre vitalité, je crois que je l’ai trouvé dans livre car à partir de 30 ans vous avez pris l’habitude de vous reposer tous les jours.
Oui mais je n’avais pas l’habitude de me reposer avant de jouer. Et j’ai fait une tournée en Amérique du Sud avec Jacqueline Delubac qui été effarée de voir la vie que je menais sans me reposer. Mais elle m’a dit: « Mais vous ne pourrez pas tenir le coup, avant d’aller jouer il faut se reposer au moins un demi-heure dans le noir ». J’ai suivi ses conseils et j’ai toujours fait le vide pour récupérer mes forces.
Vous devenez doyenne jeune à 41 ans
Oh oui, c’est une question d’ancienneté. Je suis la doyenne des anciennes. C’est une chance de pouvoir encore pratiquer ma profession dans un âge très avancé.
28 ans à la Comédie-Française et j’ai l’impression en lisant le livre que la mise à la retraite reste un moment douloureux.
On pense toujours que l’on fait partie de la maison, j’ai eu la chance de partir jeune et de continuer ma profession ailleurs. Je ne me plains pas. Mais maintenant j’ai dis non au théâtre. Je veux bien faire un peu de cinéma, de la télé, cela me passionne. Évidemment on me propose des choses intéressantes, mais jouer tous les soirs, il faut être raisonnable !
Vous évoquez les clans à la Comédie-Française et on a le sentiment qu’un siècle après, rien n’a changé
Je ne sais pas. J’aime la Comédie-Française.J’y vais toujours avec joie. Et j’admire la troupe jeune. C’est une belle maison. Et c’est toujours un joie de voir jouer mes jeunes camarades.
Propos recueillis par Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
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