La langue de Sacha Guitry est une langue du trop, de l’excès, jonchée d’une multitude de signes derrière laquelle apparaît une extrême connaissance du plateau : c’est un acteur qui écrit. C’est une langue vive, bavarde et luxuriante, omniprésente, qui file à toute allure et ne s’arrête que très rarement offrant à chacun des silences une épaisseur propre à la laisser résonner de toute sa densité. Car lorsqu’on se penche sur elle, quand on cherche à écarter les modèles coriaces et la « musique » qu’elle peut engendrer, on accède à sa profondeur de sens, bien loin de l’apparente légèreté dont on l’affuble. Dans Deburau, Sacha Guitry donne une « leçon de théâtre » et quand on lui demande quel est son secret il répond : « Pense tout simplement, la chose est bien facile ! Ce n’est ni malin ni subtil ! ». Voilà justement le secret : la pensée. Et voilà justement en quoi son écriture reste à découvrir, car piégeuse, elle mène d’un premier abord l’acteur vers « le malin et le subtil », l’acteur cherchant alors à tout prix à faire rire et prenant le pas sur la langue. La langue de Guitry se suffit à elle-même, elle fait rire, et l’acteur a pour seul travail, comme toujours, de penser. Et donc de faire entendre la pensée de Guitry, la pensée d’un homme, d’un homme de théâtre, d’un artiste, praticien et théoricien de son art. Je cite Pasolini qui disait que le charme de l’acteur ne doit pas prévaloir sur le sens de ce qu’il dit. Et c’est tout l’enjeu de mon travail sur cette pièce : faire entendre la pensée avant de chercher à produire l’effet voulu, ou pire, ce qu’on croit être l’effet voulu. L’acteur, « porte-parole » de cette langue la laissera créer d’elle-même ses effets, comiques ou non. C’est donc d’abord un travail de nettoyage qu’il faut opérer chez l’acteur, de déconditionnement de la langue afin d’accéder au plus près à la pensée de l’auteur. Extraits de la note de mise en scène de Thomas Jolly.
Toâ de Sacha Guitry
mise en scène Thomas Jolly
Compagnie Piccola Familia
avec Flora Diguet, Émeline Frémont, Julie Lerat-Gersant, Charline Porrone
Alexandre Dain, Thomas Jolly
Scénographie Thomas Jolly conseillé par Claude Chestier
Lumière Dimitri Braconnier
Son Clément Mirguet
Décor Pierre Mathiaud
Régie générale Erwan Corre
Production La Piccola Familia, Le Trident Scène nationale de Cherbourg-Octeville, Coproduction les producteurs associés de Basse-Normandie, le Rayon Vert-Scène conventionnée de Saint-Valéry-en-Caux, avec le soutien du Ministère de la Culture et de la Communication DRAC Haute-Normandie, du Conseil Régional de Haute-Normandie, du Conseil Général de Seine-Maritime, avec l’aide de l’Odia Normandie, de l’ADAMI, du Théâtre National de Bretagne, Production déléguée le Trident Scène nationale de Cherbourg-Octeville
durée 1h45
Du 27 septembre au 10 octobre 2010
Lundi, jeudi, vendredi à 20h – samedi à 18h – dimanche à 16h
Dans la salle, on chuchote que Thomas Jolly est jeune. Ah oui, ça ne fait pas de doute : il est jeune. Oui, il est vêtu comme un lycéen des beaux quartiers : pantalon slim, veste slim, visage slim. Il est imberbe. Il est mince. Il parle vite et fort. Mais cela est peu de chose : il n’est pas qu’un corps, fût-il, acteur, « son propre outil de travail » ; il est aussi metteur en scène, enfin « scénographe », c’est-à-dire « esprit ».
Or, le jeune, en esprit, est ambitieux et téméraire. C’est à cela qu’on le reconnaît d’abord. Le vieillard, mettons Guitry, a l’esprit qui bedonne ; le jeune, mettons Jolly, a l’esprit mince et qui claironne. Par conséquent, le jeune va droit à l’essentiel, droit comme un i, tranchant comme une mince lame. L’essentiel chez Guitry, selon Jolly, qui tient la plume, c’est « la pensée ».
Le mot est lâché. « voilà justement le secret. » Pendant une heure et quarante-cinq minutes, sans entracte, Jolly, au scalpel, dissèque le cadavre de Guitry et, au kärcher, procède au « travail de nettoyage » pour qu’il crache sa pensée et son secret, avec toute l’énergie et l’entrain dont un jeune et capable. Rien de très neuf, dira-t-on : « faire entendre la pensée » de l’auteur, n’est-ce pas le travail élémentaire de l’interprète ? Oui, mais « sans chercher à produire l’effet voulu, ou pire, ce qu’on croit être l’effet voulu ». Ca se complique.
Jolly est « résolument moderne ». Il veut que la langue crée elle-même ses effets, « comiques ou non ». Autrement, ce ne serait pas drôle. Il y a, chez le jeune, un goût de l’acrobatie et de la virtuosité pure : le jeune est sportif. Il y a, chez le jeune, un goût du paradoxe : le jeune est contradictoire. Simple, mais contradictoire (la complexité vient avec l’âge). Aussi, Jolly a choisi Guitry.
Faire du « résolument moderne » avec Guitry, chantre de la petite bourgeoisie et dieu du boulevard, le challenge n’est pas mince. Comment ? En démolissant consciencieusement toute l’intrigue et en balançant le texte à quatre cent à l’heure (la vitesse, quoi de plus moderne ?) sans l’ombre d’une inflexion (ça n’est pas moderne) : il faut être impassible pour que la langue se déconditionne et que la pensée, on l’entende. Le jeu de scène est « frontal », le geste « stylisé », le décor « minimal », la musique « massive », le costume « décalé ». Vers le milieu de la pièce, il y a un contraste « sensible ». Le seul, mais très net. La musique n’est plus « industrielle et tonitruante », elle se fait « planante et d’ambiance ». Le texte n’est plus débité au kilomètre d’une voix monocorde, il est susurré au micro. La lumière est chaleureuse, le geste tranquille, le cul posé. On se regarde, on sourit. Ah ! on comprend que l’on a affaire à un moment important.
La pensée de Guitry s’ébroue, toute pimpante et nettoyée. Ce sont les retrouvailles des vieux amants. Cela est beau et apaisant, comme une conversation dans les toilettes d’une discothèque. Il y a de l’émotion, palpable. Mais finalement, après quelques bons mots sur le théâtre et l’infidélité, les vieux amants n’ont pas grand chose à se dire, alors ils mangent, comme dans un réfectoire de maison de retraite, avec beaucoup de savoir-vivre, mais à genou, quelque chose d’incolore qui ressemble à des pâtes.
Bon, à la fin, parce qu’il faut bien finir les meilleures choses, il y a une explication et on entend la voix de Guitry (miracle de la technologie) qui nous donne lui-même/elle-même, sous la forme d’une « leçon de théâtre », le fin mot de sa pensée : la comédie sert à faire rire le public, pour qu’il oublie ses soucis. Pour bien jouer, il faut penser à ce qu’on joue (par exemple, si je joue la joie, il faut que je pense à la joie). Il ne faut jamais tourner le dos au public et compter sur ses doigts comme ça, et pas comme ça (c’est moins joli). Il y a d’autres petits conseils, tous pleins de bon sens. Quelque chose sur la renommée, qui ne s’achète pas.
En somme, ce n’était pas utile : Jolly l’avait très bien fait entendre.
Dans la salle, on chuchote que Thomas Jolly est jeune. Ah oui, ça ne fait pas de doute : il est jeune. Oui, il est vêtu comme un lycéen des beaux quartiers : pantalon slim, veste slim, visage slim. Il est imberbe. Il est mince. Il parle vite et fort. Mais cela est peu de chose : il n’est pas qu’un corps, fût-il, acteur, « son propre outil de travail » ; il est aussi metteur en scène, enfin « scénographe », c’est-à-dire « esprit ».
Or, le jeune, en esprit, est ambitieux et téméraire. C’est à cela qu’on le reconnaît d’abord. Le vieillard, mettons Guitry, a l’esprit qui bedonne ; le jeune, mettons Jolly, a l’esprit mince et qui claironne. Par conséquent, le jeune va droit à l’essentiel, droit comme un i, tranchant comme une mince lame. L’essentiel chez Guitry, selon Jolly, qui tient la plume, c’est « la pensée ».
Le mot est lâché. « voilà justement le secret. » Pendant une heure et quarante-cinq minutes, sans entracte, Jolly, au scalpel, dissèque le cadavre de Guitry et, au kärcher, procède au « travail de nettoyage » pour qu’il crache sa pensée et son secret, avec toute l’énergie et l’entrain dont un jeune et capable. Rien de très neuf, dira-t-on : « faire entendre la pensée » de l’auteur, n’est-ce pas le travail élémentaire de l’interprète ? Oui, mais « sans chercher à produire l’effet voulu, ou pire, ce qu’on croit être l’effet voulu ». Ca se complique.
Jolly est « résolument moderne ». Il veut que la langue crée elle-même ses effets, « comiques ou non ». Autrement, ce ne serait pas drôle. Il y a, chez le jeune, un goût de l’acrobatie et de la virtuosité pure : le jeune est sportif. Il y a, chez le jeune, un goût du paradoxe : le jeune est contradictoire. Simple, mais contradictoire (la complexité vient avec l’âge). Aussi, Jolly a choisi Guitry.
Faire du « résolument moderne » avec Guitry, chantre de la petite bourgeoisie et dieu du boulevard, le challenge n’est pas mince. Comment ? En démolissant consciencieusement toute l’intrigue et en balançant le texte à quatre cent à l’heure (la vitesse, quoi de plus moderne ?) sans l’ombre d’une inflexion (ça n’est pas moderne) : il faut être impassible pour que la langue se déconditionne et que la pensée, on l’entende. Le jeu de scène est « frontal », le geste « stylisé », le décor « minimal », la musique « massive », le costume « décalé ». Vers le milieu de la pièce, il y a un contraste « sensible ». Le seul, mais très net. La musique n’est plus « industrielle et tonitruante », elle se fait « planante et d’ambiance ». Le texte n’est plus débité au kilomètre d’une voix monocorde, il est susurré au micro. La lumière est chaleureuse, le geste tranquille, le cul posé. On se regarde, on sourit. Ah ! on comprend que l’on a affaire à un moment important.
La pensée de Guitry s’ébroue, toute pimpante et nettoyée. Ce sont les retrouvailles des vieux amants. Cela est beau et apaisant, comme une conversation dans les toilettes d’une discothèque. Il y a de l’émotion, palpable. Mais finalement, après quelques bons mots sur le théâtre et l’infidélité, les vieux amants n’ont pas grand chose à se dire, alors ils mangent, comme dans un réfectoire de maison de retraite, avec beaucoup de savoir-vivre, mais à genou, quelque chose d’incolore qui ressemble à des pâtes.
Bon, à la fin, parce qu’il faut bien finir les meilleures choses, il y a une explication et on entend la voix de Guitry (miracle de la technologie) qui nous donne lui-même/elle-même, sous la forme d’une « leçon de théâtre », le fin mot de sa pensée : la comédie sert à faire rire le public, pour qu’il oublie ses soucis. Pour bien jouer, il faut penser à ce qu’on joue (par exemple, si je joue la joie, il faut que je pense à la joie). Il ne faut jamais tourner le dos au public et compter sur ses doigts comme ça, et pas comme ça (c’est moins joli). Il y a d’autres petits conseils, tous pleins de bon sens. Quelque chose sur la renommée, qui ne s’achète pas.
En somme, ce n’était pas utile : Jolly l’avait très bien fait entendre.