Après Antoine et Cléopâtre en 2015, Tiago Rodrigues a créé Sopro au Festival d’Avignon en 2017, une pièce en hommage à un métier en voie de disparation, les souffleurs. Elle est programmée dans le cadre du Festival d’Automne 2018. Pour la première fois en quarante ans, Cristina Vidal, souffleuse au Teatro Nacional D. Maria II de Lisbonne passe de l’ombre à la lumière. Le spectacle est créé pour le Festival d’Avignon.
Comment avez-vous eu l’idée du spectacle ?
Tiago Rodrigues
La première fois que j’en ai parlé à Cristina, je n’étais pas encore le directeur du Teatro Nacional D. Maria II. J’étais metteur en scène associé et l’idée m’est venue en travaillant avec les souffleurs du théâtre. Et puis cela n’a pas pu se faire pour des raisons budgétaires. Quand j’ai pris la direction du Teatro Nacional D. Maria II j’ai travaillé sur des réécritures de classiques, Euripide, Sophocle. Et cette idée a refait surface, de parler de la grande machine théâtrale, de parler des gens dans l’ombre. Les souffleurs sont la respiration du bâtiment. Et puis cela m’amuse aussi que pour la première fois, une création portugaise au Festival d’Avignon soit portée par une souffleuse, et pas par une comédienne professionnelle.
Avez-vous hésité ?
Cristina Vidal
J’ai beaucoup hésité car j’ai peur d’aller sur scène. Je suis toujours dans l’ombre, alors être sur scène, cela me fait peur.
Qu’est ce raconte le spectacle ?
Tiago Rodrigues
Dans notre contrat moral avec Cristina, il a toujours été clair que je n’allais pas lui demander d’être comédienne. On la voit faire son travail. Elle continue à souffler. Nos yeux se déplacent vers l’ombre. C’est basé sur son expérience au théâtre, mais tout est raconté à la première personne, on ne cite pas son nom, on dit « la souffleuse » parce que c’est une fiction. On raconte une biographie fictionnelle de cette souffleuse.
Vous n’êtes plus nombreux à faire ce métier ?
Cristina Vidal
Non c’est vrai. Au Teatro Nacional D. Maria II, nous ne sommes plus que deux, nous sommes les derniers. On est attaché à une production, on se partage le travail avec mon collègue. C’est ma vie depuis quarante ans. Sinon je ne serai pas là. J’ai travaillé sur tous les genres, la comédie, les classiques, le Revista qui est très populaire chez nous.
Quelle est l’ambiance avec les comédiens ?
Cristina Vidal
Ils sont merveilleux ! L’ambiance est fantastique. Le travail est plus facile pour eux avec mon soutien.
Vous travaillez beaucoup sur la mémoire, ces souffleurs, ce sont les mémoires des théâtres.
Tiago Rodrigues
Le souffleur est un agent de la mémoire du théâtre. C’est une mémoire d’archive. C’est un chevalier du texte originel de l’auteur. Même si l’écriture du sens appartient au comédien et au metteur en scène, il y a les mots qui sont issus de l’écriture de l’auteur. Le souffleur est l’avocat de ces mots. Ensuite il est le sauveteur des trous de mémoire des comédiens. Mais il n’apprend jamais par cœur pour être fidèle à l’original.
Cristina Vidal
Oui parce que j’y je les apprends par cœur, je n’ai pas un autre souffleur à côté de moi pour les rappeler si je les oublie. On ne fait que lire.
Est-ce que les comédiens ont souvent des trous de mémoire ?
Cristina Vidal
Ça dépend ! Mais non pas souvent. Mais ça peut arriver !
Tiago Rodrigues
Là Cristina est très sympa avec tous les comédiens. Mais bien sur qu’ils ont des trous de mémoire dans tous les spectacles. C’est juste la largeur du trou. Est-ce qu’il nécessite son intervention ou pas ! Il y a toujours des phrases oubliées. Mais un vrai trou de mémoire, on appelle ça « une blanche » en portugais. Il n’y a rien. Le souffleur intervient. Il faut vraiment se méfier de la mémoire des comédiens. Cristina doit être très rigide et sévère, mais elle les défend à mort !
Vous les grondez parfois ?
Cristina Vidal
Un peu, ça m’arrive. Mais ils ont besoin de savoir que je suis là comme un sauveur.
Propos recueillis par Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
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