En s’inspirant de Lettre à D. d’André Gorz publié en 2006, David Geselson invente ce qu’auraient pu être les échanges du couple formé par le philosophe et sa femme au fil de leurs cinquante-huit ans d’amour et de vie commune interrompus par la maladie et la mort dans Doreen, une proposition aussi touchante que troublante.
Dans la petite salle du Théâtre de la Bastille transformée en salon élégamment rétro, Gérard et Doreen reçoivent les spectateurs en nombre limité, les invitent à prendre un verre de vin et quelques amuse-bouches disposés sur une longue table en bois, puis, à prendre place autour d’eux. L’espace est joliment meublé, fleuri. Les couleurs sont claires, l’éclairage tamisé. Le son feutré d’un jazz lent passe sur le tourne-disque. Partout il y a des livres. Ce sont des intellectuels. Ils parlent beaucoup. Même s’il est difficile de parler, de s’exprimer, ils ne font que ça, deviser, disserter, débattre de tout.
David Geselson fait du journaliste et romancier un être sûr de lui et mal à l’aise, ambivalent, parfois inconsistant mais tellement attentionné. Laure Mathis est Doreen dans l’éclat de sa jeunesse. Avec une sensibilité à fleur de peau, elle est douce, rieuse, embarrassée, provocante, mélancolique, combative, hallucinante de vérité. Le charme et l’émotion que suscite le spectacle tiennent beaucoup à la présence irradiante de la comédienne.
En septembre 2007, André Gorz et son épouse Dorine Keir étaient retrouvés morts à leur domicile. Ils ont décidé de mourir ensemble, pour ne pas avoir à survivre à la mort de l’autre. Au moment de la vie où tout semble vouloir s’éteindre, l’homme, octogénaire, exprime un regain d’amour aussi revigorant que poignant. « Tu viens juste d’avoir 82 ans. Tu es toujours belle, gracieuse et désirable. Cela fait cinquante-huit ans que nous vivons ensemble et je t’aime plus que jamais » écrit-il à sa femme. Leur suicide n’est judicieusement pas montré sur scène mais évoqué par les assourdissants coups de tonnerre d’une tempête orageuse suivis d’un long silence pénétrant et imperturbable d’où l’on entend un adieu suspendu.
Voilà comment David Geselson parvient à traiter un sujet rude avec beaucoup de pudeur et de délicatesse. La forme chambriste et singulière est dépourvue de trivialité. Elle favorise, habilement et sans le déranger, une proximité du spectateur avec l’histoire, sa passion, ses douleurs, qu’il prend de plein fouet. Il en est le témoin rapproché, si bien que ce qui se joue lui appartient un peu aussi.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Doreen de David Geselson
Texte et mise en scène David Geselson
Interprétation Laure Mathis et David Geselson
Scénographie Lisa Navarro
Création lumière Jérémie Papin
Création vidéo Jérémie Scheidler
Création son Loic Le Roux
Collaboration à la mise en scène Elios Noël, Laure Mathis, Loïc Le Roux, Lisa Navarro, Jérémie Papin et Jérémie Scheidler
Regard extérieur Jean-Pierre Baro
Administration, production, diffusion, relations presse AlterMachine
Durée 1h15MC93 Bobigny
Du 14 au 21 décembre 2022
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