A Orléans où il finit son mandat de directeur, Arthur Nauzyciel place l’héroïne troublée de Fassbinder au rang d’une égérie warholienne dans une sublime mise en scène aux couleurs pop créée en Slovénie.
C’est lors des répétitions de Splendid’s qu’Arthur Nauzyciel reçoit l’invitation de faire un spectacle en résidence au Mini Teater de Ljubljana. Il propose de monter une œuvre dont il cultive le désir depuis longtemps : Les Larmes amères de Petra von Kant. On croit voir dans ces travaux les deux faces d’une même médaille. La virilité des corps tatoués et musculeux des gangsters de Genet répond comme en miroir à la beauté fatale et subversive des femmes désœuvrées et magnifiées chez Fassbinder.
La pièce qui donna aussitôt lieu à un célèbre film est souvent mal montée, réduite par désinvolture à un mélodrame bourgeois. En attestent les dernières versions françaises signées Philippe Calvario et Thierry de Peretti. Il faut remonter à la stupéfiante production allemande de Martin Kusej présentée en 2013 à l’Odéon pour apercevoir la puissance transgressive de l’œuvre écrite et tournée au début des années 1970. On n’est certes pas avec Petra dans la charge politique contestataire d’Anarchie en Bavière et Liberté à Brême et plus proche du huis-clos sentimental de Gouttes dans l’océan, mais s’imposent une violence rebelle dans la sensualité brute et fantasmatique d’une histoire d’amour destructrice et désespérée.
Divorcée d’un homme qui l’a dégoûtée des hommes, Petra vit avec Marlène, une brave fille car docile, mais redécouvre l’étincelle de l’amour lorsqu’elle rencontre Karine, une cover-girl aussi ingénue qu’effrontée. Confondant la passion et la possession, elle s’égare dans l’exercice d’une tyrannie sentimentale qui se retourne contre elle-même.
Arthur Nauzyciel mâtine sa représentation à la fois simple et hypersophistiquée d’un incroyable calme. Très épurée, sa mise en scène ne s’encombre pas d’accessoires superflus, seulement d’un fauteuil zébré posé sur un tapis blanc. Pas de téléphone, de bouteilles, de journaux ; pas d’éclats, d’affolement dans cette atmosphère décalée, suspendue, capiteuse jusqu’à l’incandescence qui porte la beauté et la souffrance à un point d’intensité sans limite.
Le metteur en scène qui a pris l’habitude de diriger des acteurs étrangers, qu’ils soient américains, russes ou coréens, trouvent dans les six comédiennes slovènes de sublimes interprètes. Dans les contraintes d’une forme antiréaliste et d’un jeu qui ne supporte aucune boursouflure, elles déploient avec évidence une audacieuse liberté. Postées devant une toile grand format qui limite sévèrement l’espace à l’extrême bord du plateau comme livrées en pâture, Helena Persuch et ses collègues, droites et dignes, dans une ébullition toute intérieure, mettent à nu la passion et la vulnérabilité qui habitent les femmes de Fassbinder.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
LES LARMES AMÈRES DE PETRA VON KANT
R.W. FASSBINDER
Arthur Nauzyciel
Avec
Arna Hadžialjevic
Medea Novak
Helena Peršuh
Urška Taufer
Vesna Voncina
Milena Zupancic
Texte: Rainer Werner Fassbinder; mise en scène: Arthur Nauzyciel; décor: Riccardo Hernandez; lumières: Scott Zielinski; costumes: Gaspard Yurkievich; maquillage: Empera; son: Beno Gec; assistant à la mise en scène: Juš A. Zidar; assistant décor: Tine Tribuson; traducteur: Lado Kralj; consultante pour la langue slovène: Laura Brataševec
Production: Mini teater, Slovene National Theatre Nova Gorica, City Theatre Ptuj, CDN Orléans/Loiret/Centre Avec le soutien de l’Institut français de Slovénie
LES LARMES AMÈRES DE PETRA VON KANT est publié chez L’Arche.
Création/Spectacle répété au CDN Orléans/Loiret/Centre.
Durée : 1h30.
CDN Orléans
06 DÉC.- 10 Déc. 2016
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !