La programmation de cette 36e édition qui se déroule du 23 juin au 09 juillet 2016 s’est lentement enroulée autour de deux axes. Le premier est issu d’un questionnement bien occidental : quel avenir pour ces grandes compagnies fondées par les grands maîtres contemporains aujourd’hui disparus (Maurice Béjart, Merce Cunningham, Pina Bausch, Birgit Cullberg…) ou éloignés de la compagnie qu’ils ont contribué à rendre célèbre (William Forsythe, Jirí Kylián…).
Rares sont les créateurs qui ont prévu la vie de leur compagnie après eux… Une fois partis, ils laissent en suspend la question de leur héritage mais aussi celle de la survie de la compagnie (économique, artistique…). Chaque compagnie continue à sa manière, certaines en dansant les pièces de leur répertoire, d’autres en essayant de garder l’esprit créatif du fondateur en invitant d’autres chorégraphes à créer des pièces. Pour de multiples raisons, toutes ne seront pas présentes lors de ce Festival. Nous aurons l’occasion d’admirer le Cullbergbaletten qui, fondé par Birgit Cullberg en 1967, répond à cette question aujourd’hui sur le mode de la création. Gabriel Smeets, son actuel directeur depuis 2014, invite des chorégraphes audacieux et de premier plan à créer pour la compagnie. On verra donc les danseurs de ce célèbre ballet dans une pièce de la chorégraphe américaine Deborah Hay. William Forsythe, lui aussi, a récemment quitté Francfort. Un de ses anciens danseurs lui succède : Jacopo Godani. La compagnie a été renommée Dresden Frankfurt Dance Company même si l’équipe administrative est restée en place. Là aussi, le chorégraphe crée ses propres pièces. Il montre dans cette édition The Primate Trilogy, la première pour sa nouvelle compagnie.
L’autre fil conducteur de ce 36e Festival est une question récurrente que l’on se pose ici, à Montpellier Danse. Avec l’Agora, nous avons construit, sur la rive septentrionale de la Méditerranée, un lieu, une structure, avec des moyens, des publics, des théâtres et une certaine renommée acquise au fil des années. La question récurrente, c’est celle de notre responsabilité, de notre solidarité face à la situation des artistes et de la création sur les autres rives méditerranéennes. Surtout que depuis quelques mois la situation géopolitique de ces pays est souvent tragiquement au cœur d’une atroce actualité.
Aujourd’hui, dans certains pays qui bordent la Méditerranée, il est difficile voire impossible de vivre. Alors créer ?! Il y a d’autres problèmes bien plus graves à résoudre. Dans des éditions antérieures, Montpellier Danse a régulièrement abordé ce genre de programmation. Celle de 2016, qui a mûri depuis presque deux ans, a été traversée par les événements récents. Alors, en restant dans ce que l’on sait et peut faire, c’est-à-dire, accueillir des artistes, les soutenir du mieux qu’on peut et montrer leurs œuvres, je me demande comment les artistes de ces pays-là vivent cette situation. Que ce soit ces bateaux qui, par centaines, tentent de traverser la Méditerranée avec souvent les épilogues tragiques que l’on connait, ou les attentats récents perpétrés sur le territoire francais, comment tout cela traverse ces créateurs d’origine méditerranéenne qui, pour la plupart, vivent aujourd’hui en Europe ? Comment ces réfugiés vivent-ils consciemment ou inconsciemment dans la tête de ces créateurs ? Comment appréhendent-ils ces attentats qui nous mettent face à face avec un certain islam qui ne voit pas d’un bon oeil les questions liées à la culture en général, et à la danse en particulier… En tous cas, quand on concocte une édition sur la Méditerranée, il est impossible que ces questions-là ne nous préoccupent pas passionnément…
Bien sûr, nous accueillerons les toutes nouvelles créations de ces artistes issus des pays qui bordent la Méditerranée, mais pas seulement. Il m’est apparu essentiel de donner la possibilité au public de pouvoir appréhender le travail de ces artistes de manière, si ce n’est différente, du moins plus approfondie. Il s’agit de permettre à ceux qui le souhaitent de pouvoir replacer l’œuvre dans une sorte de contexte. Alors, en parallèle aux spectacles, j’ai proposé à la revue Esprit de prendre en charge une table ronde sur ce sujet. La revue travaille déjà sur ces sujets d’une manière générale. La danse devient le prétexte pour approfondir une réflexion sur la création au bord de la Méditerranée de nos jours. Arte s’est également engagé à nos côtés pour proposer une programmation de films dont le fil conducteur est la résistance des artistes face au pouvoir qu’il soit social, économique ou politique, violent, virulent ou plus insidieux.
J’ai également souhaité que notre site internet soit un endroit où, au-delà du fait d’acheter ses billets ou de regarder le film de présentation, le spectateur puisse avoir accès à toute une matière qui lui permette d’en savoir plus sur l’artiste et le contexte de sa création. Pour cela, j’ai demandé aux journalistes Marie-Christine Vernay et Isabelle Danto d’interroger les artistes que ce soit sur la question des grandes compagnies laissées par leurs fondateurs, ou les artistes issus de pays qui bordent la Méditerranée. Ainsi, si le spectateur souhaite uniquement aller au spectacle, bien sûr il le peut, mais s’il souhaite aller plus loin que le seul spectacle, avant ou après la représentation, il le pourra également.
Je suis sûr que si on y regarde de plus près, d’autres fils pourront apparaître. Celui des femmes par exemple. Comment sont-elles présentes dans cette programmation ? Qu’ont-elles de plus spécifique à
dire sur cette question des artistes face au pouvoir ? Qu’elles soient issues de la Méditerranée ou non. Evidemment, le Festival accueillera aussi une programmation plus habituelle, qui n’entre pas forcément dans ces questionnements. Montpellier Danse reste une place forte où l’on crée beaucoup pendant l’été (16 créations en 2016). Les pièces jouent leurs premières représentations ici puis voyagent à travers le monde.
Même si le Festival est traversé par toutes ces questions, souvent difficiles et même terribles, ce n’est qu’un Festival. Alors ouvrons les yeux, posons-les sur les œuvres des artistes, et vivons cet 36e édition ! Edito de Jean-Paul Montanari.
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