Dans cet univers exclusivement féminin, l’action dramatique prend un autre rythme, une autre temporalité. Nous ne sommes pas dans un souci de l’immédiat, dans une recherche de l’affrontement, ou dans une lutte pour la domination. Ce sont là des caractéristiques masculines. Et c’est en ça que l’amour entre ces deux protagonistes est possible : de par l’absence des hommes, toute forme de violence, verbale, physique ou charnelle devient infime. La place est laissée aux sentiments et à leur épanouissement. Dans ces conditions, je ne crois pas que l’amour aurait été possible si les personnages étaient deux hommes. Cet amour est d’autant plus troublant car il nous apparaît contre-nature, mais par cette tendresse, grâce à cette douceur propre au genre féminin, il est possible d’enlever toute vulgarité et ne garder qu’un sentiment épuré et salvateur. Mais ce texte ne parle pas seulement des relations humaines. Comme l’indique son titre, « Compartiment Fumeuses » est avant tout un lieu. Nous sommes en prison. Un lieu assez banal à première vue. Quoi de plus naturel qu’une prison? Une institution fossilisée dans notre mémoire, comme la prostitution. Aussi loin, que peut remonter la mémoire du monde, voici deux notions indéfectiblement inscrites dans nos moeurs. J’ose espérer que la révolution sexuelle viendra à bout du trafic de la chair, mais la prison… comment se fait-il qu’au 21eme siècle, la seule solution, la seule réponse au crime soit l’isolement en milieu carcéral? Quelle alternative existe-t-il? Les traitements psychiatriques? Les camisoles chimiques? Ne seraient-ce pas plutôt des moyens variés pour dissimuler les problèmes? Je veux dire que la bête sauvage, enchainée et enfermée, ne développe qu’une chose : son agressivité. Certes, la société vivra alors une espèce de quiétude, mais l’individu, le paria, vivant quotidiennement entre son crime, sa conscience et sa solitude, que lui arrive-t-il? Une fois que l’on s’est posé toutes ces questions, la prison nous apparait comme un immense vide-ordure. Mais ce ne sont pas des pelures ou des emballages plastiques qui y achèvent leur parcours de produits consommables, ce sont des êtres humains. Alors une dernière question subsiste: comment sont-ils arrivés là? Les deux protagonistes de Compartiment Fumeuses, ont un besoin viscéral de casser leur quotidien, une soif de liberté et elles arrivent en prison… Quand nous écoutons leur histoire, nous avons le sentiment que nous aurions pu prévenir un tel problème. En quelque sorte, elles n’ont pas le choix de leur vie hors de la prison. Et nous? Sommes-nous libres? Pour finir, je dirais que la réalité ne m’intéresse pas, elle n’a pas sa place au théâtre, ni dans l’art en général. Je lui préfère son reflet déformé que me permet la scène. Ce reflet nous renvoie à l’image d’une société telle qu’elle devrait être ou, à l’opposé, qu’elle ne doit jamais devenir. En cela, l’art théâtral reste un acte militant et humaniste. J’ai l’espoir naïf et fou qu’en montant « Compartiment Fumeuses », j’aurais contribué à l’évolution de notre société et qu’un jour, nous aurons inventé un moyen d’accepter et d’intégrer « l’Autre », et que plus jamais, il n’y ait besoin de prison.
Compartiment Fumeuses
Texte: Joëlle Fossier
Affiches et tracts: Nawelle Saïdi
Musique: Sebscylla
Costumes et maquillages: Ekateriana Antsiferova
Mise en scène: Nicolas Marthot
Assistant à la mise en scène Sullivan Da Silva
Avec: Ivana Coppola, Marie Demasi, Géraldine Moreau-Geoffrey
Théâtre du Nord-Ouest
13 Rue du Faubourg Montmartre
Paris
Métro : Grands Boulevards
8 mai à 14h30/ 16 mai à 14h30/ 23 mai à14h30/ 5 juin à12h30
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