Racisme ordinaire dans les Alpes avec "Alpenstock" de Rémi de Vos au Lucernaire

 

Depuis « André le Magnifique », l’auteur Rémi De Vos pose son regard critique sur nos sociétés contemporaines. Avec « Alpenstock » il explore avec un humour féroce le repli sur soi, le rejet de l’étranger, dans une langue toujours aussi ciselée et directe. Quelque part dans les alpages allemands ou autrichiens, un couple vit tranquillement. Fritz et Grete mènent une vie réglée. Fritz travaille dans un bureau, le soir et le week-end il endosse le costume traditionnel tyrolien. Quand à Grete, elle astique son intérieur. Sa seule préoccupation : que tout soit propre. Alors elle va chercher du détergent au marché cosmopolite. Et là elle rencontre Yosip Karageorgevitch Assanachu, balkano-carpatho-transylvanien. Il l’a suit jusqu’à son domicile et font l’amour. Fritz de retour tue l’étranger. « Un pays propre c’est d’abord un pays culturellement ancré dans ses traditions nationales, assène Fritz à sa femme. Ordre, silence et propreté sont les mamelles traditionnellement culturelles de notre pays bien-aimé et il nous faut lutter contre la contamination de traditions étrangères impropres à nos critères culturellement nationaux. » La suite de l’action est désopilante, car tous les cousins de Yosip vont se succéder au domicile du couple, et faire l’amour avec Grete…

 

Le collectif Volens/Nolens s’est emparé à bras le corps du texte de Rémi De Vos. Il a d’ailleurs travaillé avec l’auteur dès les premières représentations en octobre 2009 au Théâtre de Vanves. Et vont continuer de travailler ensemble sur d’autres textes. David Lejard-Ruffet, le jeune metteur en scène du spectacle a su parfaitement restituer l’esprit de la pièce. C’est intelligent. Les personnages sont totalement déshumanises, comme lobotomisés par la pensée ambiante, par la peur de l’autre.  « Au-delà de la forme pure nous sommes touchés par la pertinence de cette pièce explique le collectif, et il nous semble important de partager avec le public une réflexion sur des problématiques communes aux sociétés modernes. Nous traitons donc dans « Alpenstock » de racisme, d’amour ‘‘propre’’, d’intégration, de la peur de l’autre, de désir physique, de société normalisée, du couple et de son carcan, de nationalisme, du monde. »

Les trois comédiens (Charlotte Petitat, Antoine Rosenfeld, Pierre-Etienne Royer) fonctionnent à merveille. Charlotte Petitat est irrésistible en femme d’intérieure soumise qui frotte avec énergie son chiffon à poussière sur sa table en formica. Les comédiens débitent le texte magnifique de Remy De Vos dans un phrasé inouï « à la mitraillette » et parfaitement maitrisé, sans fausse note. Bel exploit artistique. D’autant que David Lejard-Ruffet leur impose une montée en puissance dans l’action de la pièce. Du théâtre qui mêle à la fois un texte intelligent et une mise en scène moderne et enlevée. C’est jouissif.

Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr

Un autre extrait du texte: « Nos montagnes sont les vivants symboles de la grandeur à laquelle nous sommes destinés depuis toujours et quoi de plus ordonné, de plus propre et silencieux que la neige qui recouvre nos montagnes ? Ce n’est pas pour rien que nos skieurs sont les meilleurs du monde, Grete. Les skieurs étrangers ne skient pas comme les nôtres sur l’ordre, le silence et la propreté ; ils ne peuvent comprendre la fusion organique qui s’opère entre la neige et nos skieurs olympiques et champions du monde. Les étrangers ne comprennent rien à notre pays, Grete. Ils ne parlent de lui qu’en clichés monstrueusement caricaturaux ». Editions Actes Sud.

ALPENSTOCK

Une pièce de Rémi De Vos

Avec : Charlotte Petitat, Antoine Rosenfeld, Pierre-Etienne Royer

Mise en scène : David Lejard-Ruffet

Durée 0h55

du 12 mai au 26 juin 2010.

AU LUCERNAIRE

Du mardi au samedi à 20h

Dimanche à 17h jusqu’au 13 juin 2010

Réservations

http://www.lucernaire.fr/

Téléphone : 01 42 22 26 50