C’est comme si elle pratiquait la magie blanche : Lucinda Childs écrit sur l’espace, sur le temps, sur la vie, transmue ces données pleines d’émotions bariolées en des oeuvres d’une beauté parfaitement lisse et claire, dans lesquelles cependant rien n’est nié du tumulte du monde. Il gronde derrière les pas qui se succèdent, tissant avec une science savante d’infinies variations sur des thèmes, il palpite bel et bien : flux d’énergie, rythmes en rupture, accélérations, ralentis, obsessions, rencontres, fuites, rendezvous manqués. Du moins est-ce le chemin qui se lit dans ce programme où se succèdent Dance créé en 1979 et Songs from before, né trente ans après au Ballet du Rhin. Même blancheur, même mouvements qui se répètent et dévient peu à peu, même recherche de la géométrie dans la danse, même manière de la faire glisser sur la musique. Et pourtant Songs from before s’aventure au-delà. La bande sonore de Max Richter (compositeur de la musique du film Valse avec Bachir) se déroule autour de bribes. Une première dans le travail radicalement abstrait de Lucinda Childs. Tirées de romans d’Haruki Murakami, elles évoquent la confession d’un homme solitaire, qui laisse remonter ses souvenirs à la surface de sa conscience. Le comédien Robert Wyatt les dit d’une voix qui délibérément marmonne et mange des mots. Sur ce flux, les danseurs marchent, traversent la scène en se croisant, nuées d’oiseaux blancs aux trajectoires imprévisibles comme le passé qui flotte et surgit, ils donnent à voir le hasard à l’oeuvre. Proche des artistes de la Judson, Lucinda Childs a beaucoup travaillé avec des plasticiens. Si pour Dance, elle a commandé à Sol LeWitt, un film qui sert de décor à la pièce, pour Songs elle a imaginé de grands panneaux mobiles et transparents striés de larges raies argentées. Leurs allées et venues rythment la vie des danseurs tout au long de la pièce : apparitions, disparitions, pas de deux noués et dénoués, beauté prenante des images forgées par cette disciple de Bob Wilson avec qui elle créa naguère le mythique Einstein on the Beach. Mais ici, l’humain s’est glissé et pour une fois un doute s’introduit : par-delà la fascination de la beauté abstraite, est-on sûr que dans une vie, le dieu hasard fasse toujours bien les choses ? A. B d’après dossier de presse.
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